L'île de Guam : 26/6 au 5/9/ 71

L'île de Guam

 (2 mois de contrat)

 

Au "Fujita Tumon Beach Hotel" .

26 Juin 71. Textes de Francine  Julia, notre nouvel imprésario, tout ce qu'il y a de bien, paraît-il, trop bien pour être un agent... On n'a pas tellement eu de chance avec les bonnes femmes : Maria la mère maquerelle au Mexique, Gemma la pucelle au Canada... mais on a tellement envie... de cocotiers !

Julia nous a envoyé ses deux chauffeurs philippins mais rien ne presse : "Take it easy !, yod' in Guam..." son accent américain nous surprend un peu… (celui des japonais est scolaire comme le nôtre… ) Petits et râblés, le visage enfantin sous la houppette graisseuse à la Elvis, bottés pointus, les philippins sourient, se poussent du coude pour se présenter : Junior et Jimmy. Une brise soulève les grandes robes fleuries des guaméniènes où s'agrippent, rigolards, des bouquets de marmailles.

Julia, très douce, arrive : elle nous voit les traits tirés, rongés comme tous ceux qui débarquent après un long séjour à Tokyo : " Take it easy..."

Présentation, à la table du manager japonais, les habitués, chemises à fleurs, estomacs hypertrophiés : " Take it easy...  What dou you want to drink ?...Nous on voudrait bien s'installer et... voir les cocotiers !

Déjà la nuit brutale, tropicale, les lampes s'allument sur les tables, visages luisants, dents blanches, œil mi-clos : "Would you take another drink ? - Non merci." . Nous subissons doucement la moiteur nonchalante de l'île. En une heure, on a tout installé mais il faut une après-midi entière pour que l'électricien fournisse les spots et encore une autre pour que le menuisier finisse l'estrade. "Take it easy ! " Le résultat est satisfaisant. Comme il faut chanter à la fois pour le bar et le restaurant, on va se retrouver dans l'étranglement de la séparation.


Des honeymooners en séjour d'une semaine.

Les honey mooners

Le manager avait peur, c'est la première fois qu'il engage des artistes, c'est pour cette raison, paraît-il, qu'on est payés moins : 1 000 dollars U. S. nourris-logés. Enfin, il semble satisfait, il reçoit régulièrement une clientèle hétéroclite de japonais en lune de miel : les "honeymooners", comme disent les américains, mais ceux-là, c'est zéro pour le bar !!

Les autres sont des civils américains travaillant pour la base, des Philippins et quelques Guaméniens, sans compter la dizaine d'éponges qui contre vents et typhons, accoudés sur le comptoir, le dos rond, la mâchoire fixe, l'œil vague, vissent leurs nombreuses heures creuses aux tabourets du bar.

Dans notre piaule d'hôtel, on est bien, une grande pièce avec deux lits, de la place pour répéter, une salle de bains et la piscine en face. Toutes les chambres sont ainsi disposées autour de la pièce d'eau et dissimulées sous les palmiers.


La piscine :

L hotel fujita

La piscine est le centre d'activité, Francine en témoigne...Tous les américains, vers 5 h, leur travail fini, se retrouvent le verre à la main. "Sont fous, ceux-là… la mer est à 200 m !... J'y suis allée tout à l'heure : pas un chat, j'ai demandé à un américain pourquoi personne ne se baignait sur la plage, devine ce qu'il m'a répondu ? : -Y'a des microbes !

En effet, à part quelques Guaméniens qui vont récupérer leur marmaille continuellement dans la flotte, personne ne se baigne. On se risque, c'est un délice, l'eau est tiède, d'une transparence lumineuse, comment peut-on se baigner dans une piscine qui sent l'eau de javel, ça dépasse notre entendement. Des poissons de toutes les couleurs reviennent nous visiter, curieux.

Aucune vague, nous sommes à l'intérieur du lagon. Peu d'eau, je suis à 200 m du rivage et j'ai toujours pied, du sable et... de moins en moins d'eau, tient le sable remonte !  Haï ! la vache ! Et oui, c'est la barrière de corail... Impossible d'aller plus loin sans chaussures appropriées, ça coupe comme des rasoirs. Dix minutes plus tard, équipé, pas tellement rassuré, j'entame une marche difficile sur ces fameux coraux, ça s'effrite, quel dommage de détruire cette délicate architecture de dentelle... Il y en a une épaisseur de plusieurs mètres m'a-t-on dit !..


"Francine : les coraux sont allumés..."

Maintenant,  j'ai presque les pieds hors de l'eau, debout sur l'anneau, sur cet anneau qui fait tout le tour de l'île. J'ai eu ce jour-là la chance de les voir s'allumer : certains terminaient leur ramification calcaire par des cristaux mauves, d'autres préféraient l'orange, bourgeonnement d'une fin d'après-midi ?... J'y suis retourné une heure plus tard avec Francine et mon "Rolleiflex", mais le spectacle était terminé, merveilleux caprice de la nature, quelle chance d'avoir été là au bon moment…


Notre "Trailer-house"

30 Juin 71. L'hôtel est maintenant complet, Yama le manager a prié Julia notre agent américaine de nous loger ailleurs. On habite maintenant dans un "trailer-house" C'était trop beau cette simplicité de vie.

71 7 17 les trailer house

Aux U. S. A., on change de job comme on change de voiture ou presque. L'américain n'hésite pas à aller à l'autre bout des Etats-Unis quand un nouveau job bien payé l'attend. Il peut toujours louer ou acheter un trailer-house. Cette énorme caravane tirée par un camion spécial ira rejoindre d'autres trailers-houses sur un terrain prévu à cet effet.

Cette petite maison sera posée puis ajustée sur un emplacement avec prise d'eau, d'électricité et d'égout, ce logement installé en moins d'une heure illustre parfaitement le fonctionnel américain ! 

En un mois et demi dans ce trailer-house saturé de ronrons, nous n'aurons jamais vu la tête de nos voisins, ni mis le nez dehors tant les bourdonnements des conditionneur d'air étaient insupportables.

Un matin, nous aurons la surprise de constater la disparition de tout notre linge… Francine avait eu la bonne idée de le tendre à l'extérieur ; puisqu'on nous fait jouer les romanichels, c'était pourtant pittoresque, non ?


La vie à l'américaine...

Un parallélépipède sans roue de 13 m de long, 2,50 m de haut et de 3,50 m de large, 2 chambres, une salle de bains et un grand salon-cuisine. Ah ! cette cuisine ! Une véritable épicerie ! Tout est là, l'ancien locataire n'a rien emmené, c'est la coutume, pourquoi s'embarrasser puisqu'il retrouvera les mêmes boîtes de conserves, de poudre, de flacons, de sauces aux couleurs "fluo", tout un tas d'épices séchées toutes plus délicates à manier  et puis, cet énorme bocal pharmaceutique renfermant 1 ou 2 kg d'Alka Selser.


                         Et les ronrons...

 

D'abord, un bourdonnement de ruches… puis dès que l'on s'approche, du "camp" le bruissement devient plus précis, il émane des dizaines de trailers-houses. Cette multitude de bruits différents percent leurs minces cloisons. Tous les "trailers" sont savamment alignés sur un ancien terrain vague, on a abattu tous les palmiers pour la commodité, c'est'y pas plus simple ?

 

Alors comme nous sommes en plein soleil tropical, il faut climatiser nuit et jour sans interruption. Mais c'est pas tout ! Le ronron du frigidaire donne le relais à celui du congélateur qui passe le relais à celui de la machine à laver, puis au lave-vaisselle automatique, à l'aspirateur d'odeurs de cuisine et  j'en oublie... Les poissons rouges, eux, sont gâtés, ils ont leur ronron personnel permanent.


 Brassens, on ne t'a jamais écouté aussi fort ! Ne pousse pas du pied mes p'tits cochons. : va comme hier, comme hier, comme hier, si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aimeront. L'un tient le couteau, l'autre la cuillère, si tu ne m'aimes point, c'est moi qui t'aimeront...La vie c'est toujours les mêmes chansons.


 La mort d'un grand Jazzman ...

"Pacific News : En lisant ce journal local mes yeux tombent sur un article : "Moustache, fameux French-cook" ... "Tiens l'ancien batteur de Luter est devenu cuisinier...?" Plus loin : "…préside à l'enterrement de Louis Armstrong, messe...."  "Quoi ? Armstrong est mort ?... Francine... Louis... il est mort... La gorge me serre... ben oui, c'est con, je chiale...  - Et ben l'père Philou qu'est-ce qui t'arrive...? 

-Tu peux pas savoir... les heures de bonheur qu'il m'a donné... Louis, c'est la musique qui raconte la tendresse, l'humour, la rigolade mais aussi la tragédie, tout ça dans le même bonhomme...

Un père Hugo ! Un Chaplin d'la musique!...


On apporte le progrès...

(Texte de Francine) : Une île tout ce qu'il y a de tranquille, d'abord les espagnols qui commencèrent par supprimer tous les hommes, ça s'appelait "évangéliser". Pour les touristes, une statue en mémoire du passage de Magellan, plus loin, une petite chapelle abandonnée : un missionnaire jésuite martyr, arrêté tout droit dans son évangélisation.

Un écriteau rappelle aux enfants de ne pas monter dessus : sacré. Ce n'était que partie remise, les catholiques contrôlent tout, les hôpitaux, les écoles, sauf les naissances, d’où les interminables chapelets de petits guaméniens qui courent cul à l'air sur la plage.

Les américains se plaignent : ils sont paresseux, mettent de la mauvaise volonté pour rentrer dans le système. Un pêcheur traîne mollement son filet dans la lagune, Je lui demande de lui acheter son poisson, il me regarde surpris : " Mais mon poisson, c'est pour moi, pour manger... - Et le prochain ? - Alors, je le donne à mon voisin. Et nous qui venons détruire cette harmonie si simple.


Pacific news guam


Ben, notre ami.

Ben nous adore, il n'a jamais vu des Français, ni surtout une Francine comme celle qui est à côté de moi ! Ben est Guaménien, assez noir de peau comme tous les habitants de l'île, population mélangée à celle de la Guinée d'après mon atlas. Il nous montre quelques cicatrices sur le crâne, des traces de coups de bâton que les japonais lui ont administré pour le faire travailler plus vite, il avait 16 ans, c'étaient des tyrans paraît-il.

Après cela, nous sommes allés visiter le gouffre dans lequel une centaine de japonais se sont jetés juste avant l'arrivée des américains : "BEN ZAI".  Ben est maintenant riche, le gouvernement lui a versé une  indemnité de 40 000 dollars (20 millions d'ancien francs). Son fils, policier, a été tué dans un accident l'année dernière.

" Quand ma voiture sera réparée, je vous prêterai ma camionnette pour vous promener, vous la garderez au trailer-house..." Trois jours plus tard, Ben a tenu parole, il nous laissera sa camionnette "pick-up" Ford pendant toute la durée de notre séjour à Guam.  Francine et moi avons apprécié la limitation de vitesse sur toute l'île : 25 milles à l'heure (45 km/h).

Devant l affiche

Une affiche du Québec !


L'expérience des pourboires : 

Un soir, Ben, notre fidèle auditeur est venu placer un verre sur une petite table, devant nous, verre dans lequel il s'est empressé de mettre 5 dollars. On était un peu gênés, n'ayant ni Francine ni moi le culot de ce genre de pratique. A la fin de la soirée, on avait presque 30 dollars dans le verre. Puis, au bout d'une semaine, on s'est vite rendu compte que l'on se prenait au jeu, qu'on  ne chantait plus que les chansons qui payaient : "la bamba", "Love story", "la vie en rose", "Guantanaméra", etc. !

Telle chanson déclenchait le billet chez un client, telle autre chez un autre... ces réflexes conditionnés nous ont vite fait comprendre qu'on glissait sur une mauvaise pente : adieu Michel Legrand, Charles Trenet, Mouloudji... fini les chansons pour le pied... danger !... On a tout de même fini la saison le verre sur la table afin de ne pas avoir d'explications à donner, cela les rendait si heureux de nous voir gagner du fric... "Vous verrez, à Hawaï, des centaines de dollars que vous gagnerez tous les soirs !" La panacée, quoi ! 


La jungle à 500m !

La jungle existe encore à Guam. Presque tous les jours , nous suivons la côte. Promenade fantastique, on revient quand la faim nous tenaille. Je crois qu'on a fait toutes les "taches vertes" de la carte, il fallait avant que les bulldozers évancapitalisent tout...

La plupart des touristes s'arrêtent où l'hôtel disparait, après le contour d'un rocher. Là, dans un renfoncement on trouve encore un tas de boîtes vides indispensables à tout promeneur américain. Puis une, puis 2, puis 3 plages désertes bordées de cocotiers, le bord de mer et, tout de suite, comme un manteau fourré : la jungle... Bananiers, lianes, flamboyants, banians dont les branches retombent si bas qu'elles reprennent racines. Tout s'enchevêtre dans un chaos indescriptible : au dessus : le jacassement des oiseaux.

J'arrive à pénétrer une dizaine de mètres, puis il faut faire des acrobaties pour aller plus loin, l'odeur de végétation pourrie suffoque, je ne vois plus ni ciel ni plage... Impressionnantes ces feuilles gigantesques qui peuvent cacher… ridicule... j'essaie de me rassurer en me certifiant qu'il n'y a pas d'animaux à Guam, quelques varans inoffensifs tout au plus.

Francine dans la jungle


Ma Francine n'aime pas tellement cette verdure, elle souffre vite de claustrophobie. Assourdie, j'entends la voix de Francine : " Bon, ben moi, j'reste pas là, quand t'auras fini d'faire ton Tarzan !


Notre ami Paul...

2 Août 71, (Tiens ! j'ai 37 ans !!) :  Paul, né à Chicago est architecte, il nous parle en français, avec émotion... Pendant ces deux ans passés au camp de Fontainebleau, " j'ais pris goût à jouer à la pétanque ! " Ses trois années militaires à Guam lui ont donné le goût du "take it easy". Lui, a accepté de rester ici pour un salaire deux fois moins important qu'aux U. S. A. Il s'est donc installé à Agana, paisible.

On est les seuls Français de l'île paraît-il, il nous aime bien. Hier, il nous a appris une chose étrange : "Vous avez sans doute vu ces étoiles de mer bleues, très grandes. - Oui, énormes... - Eh bien, elle mange littéralement la partie de l'île constituée de coraux. On vient de découvrir que les acides et tous les déversements des grands hôtels favorisent la multiplication des étoiles de mer, ainsi, une partie de l'île est en voie de disparition. Il ajoute : "C'est peut-être pour cela que John, l'avocat, vend tout aux japonais ". Il se marre !


Une île statégique...

31 juillet 71. Perdue dans l'Océan Pacifique... perdue ? Pas pour tout le monde, surtout pas pour les américains qui l'administrent depuis 1945 après l'avoir "délivrée" des Japonais. De loin en loin, des blockhaus de DCA devant lesquels s'arrêtent pensifs de vieux touristes japonais… Une île tranquille dont la moitié est recouverte par les bases.

Bien avant les américains, le peuple de l'île vivait de cultures vivrières autour de la partie volcanique, là où la terre est très riche. Sur ces hectares, on a coulé du béton, en masse, là où maintenant décollent les B 52 qui, chaque jour, vont bombarder le Nord-Vietnam.

Les habitants, eh bien, ils ont été repoussés sur l'autre partie, celle où il ne pousse rien, la partie corallienne. Qu'à cela ne tienne ! On leur envoie des conserves de Californie et, comme il fallait qu'ils puissent les acheter... On a mis les guaméniens au chômage américain : 80 dollars par semaine, c'est-y pas mieux comme ça !

Ainsi le guaménien vit dans sa cabane au bord de la mer, il couche dans son hamac, pas de télé, ni frigidaire... sans électricité... pour quoi faire ? Son transistor est à pile ! Avec 1.600 F par mois, il n'est pas malheureux, non, il dort et se saoule la gueule... mais on avait déjà parlé de ce système concernant les indiens du Nord-Québec.


Le coup des pilules...

Il a fallu que Francine arrête ses pilules un mois. Le hasard a voulu que ce soit dans l'île des cocotiers, merde ! On fonce chez le pharmacien du "coin" ; c'est une femme, un monstre américain, comme je les aime… Francine prend la parole : " Qu'avez-vous comme contraceptifs, mis à part les pilules et les capotes ?

- Des ovules... de la mousse...

Francine me regarde indécise. "Allons-y pour la mousse. -Which perfume ? lemon, vanilla, carnation, rose…? (quel parfum? Citron, vanille, oeillet, rose…?). J'en oublie… une envie de rire nous secoue puis, le plus naturellement du monde, sérieux je lui lance : " Woman smell !  -What ? 

Elle me fusille du regard, je lâche, pas trop sûr de mon anglais : "Won't you have some more suitable perfume like intimed women smell  : haired girl, brunette, red hair ? " (N'auriez vous pas des parfums plus appropriés, des odeurs intimes de femme, blonde, brune, rousse …)  La bonne femme, horrifiée, m'a fusillé du regard... tout juste si elle n'a pas appelé la police !  "No we hav'nt ! (non, nous n'en avons pas !).


Embrouille à la japonaise...

Les japonais sont venus nous chercher jusqu'à Guam pour nous faire un petit tour de vache à leur manière. La Radio de Tokyo a dépêché deux emmissaires pour nous enregistrer...

Francine embraie sur "Love story" quand je vois un magnétophone caché sous la table... On n'est pas contre les copains tant qu'ils demandent la permission, mais, je réalise qu'ils ont du matériel professionnel : on s'arrête net... - Who are you ? (qui êtes vous ?) - Nippon Broardcasting, we want to make a tape of you (On veut vous faire un enregistrement...) .- No ! - You sing very well (vous chantez bien !...) - No !

Branle-bas dans l'hôtel, le patron s'en mêle, très poli. parcequ'il est en colère... - j'ai demandé à M. Hendo mon assistant de vous prévenir... - personne ne nous a prévenu.

Mensonges, chaque parole est un mensonge et, ce sérieux, cette façon de s'engager tout entier dans le mondre détail. - Il faut que je vous explique, nous voulons faire une bande publicitaire pour amener plus de jeunes couples en lune de miel - Nous comprenont bien, mais une publicité : ça se paie. -comment avec tout l'argent que je vous donne chaque semaine ...

Voilà, la grande famille, l'esclavage du paternalisme, le dévouement aveugle, les employés poings et mains liés. Dans une entreprise japonaise, avant de faire une grève, les employés demandent la permission au patron ou mettent simplement un brassard noir en signe de protestation afin de ne pas gêner la production.

Mais voilà, nous ne sommes pas japonais et ici, c'est l'Amérique... - Et puis, ce n'est pas notre affaire : adressez-vous à Julia, c'est son travail. Julia arrive, nous la laissons à ses problèmes. Vingt minutes plus tard, elle vient nous dire que nous recevrons un chèque de 20 dollars.

Yama, le patron a perdu la face devant les types de la radio, il n'y aura ni chèque, ni enregistrement et comme conséquences, nous ne seront pas prolongés comme prévu pour la première quinzaine de septembre. Après ça, comment voulez-vous travailler avec des japonais !


Rencontre de "John" l'avocat

18 août 71.  John, c'est son nom, la quarantaine, il habite à Hawaï et revient à Guam tous les 15 jours : " Guam, c'est encore le Far West, c'est encore l'aventure, on achète pour rien, on construit, on revend à des japonais, c'est vraiment excitant, vous aimeriez aller à Hawaï ?

- Comment c'est Hawaï ? " C'est pas que ça nous tente cette île de riches retraités américains, ce Vichy hollywoodien, mais faut toujours dire oui, c'est marrant !

"Je suis l'avocat du .patron du "Bleue Velvet" à Honolulu, il possède beaucoup d'autres endroits, mais celui-ci vous conviendrait parfaitement : hight-class, sophisticated people (gens distingués)... - Et combien serait-on payés ?  On est curieux… - Oh ! vous pouvez demander 3000 US $, vous les aurez, je m'en charge, demandez aussi le logement car tout est très cher à Honolulu.

Mais... je sens un os !... " Est-ce que Hawaï est contrôlée par le syndicat des musiciens américains ! - Je peux vous renseigner... je m'en charge également. - Si cela peut simplifier les démarches…, nous sommes déjà à la ANDA mexicaine et au Syndicat de Montréal qui est affilié à celui de New-York... Demain, on peut vous donner un dossier complet avec publicités, posters, photocopies, etc. O. K.? "O. K. ! Vous laisserez tout cela au "lobby" dans ma case, n° 104.


Nous ?, des "briseurs de grèves" ??

John, notre admirateur, revient d'Hawaï, le contrat à la main. Le patron du "Blue-Velvet" a signé pour  les 3000 dollars US recommendés par John. Vous les valez qu'il a dit !

Mais John s'est heurté de plein fouet à l'autorisation obligatoire du Syndicat américain des musiciens. Motif du refus : d'après les renseignements donnés par la CAPAC, (le  syndicat canadien), nous avons brisé une grève le 24 novembre 69 au "York Hôtel" de Montréal !  On n'ira jamais à Hawaï, tant mieux !"


Je laisse parler Francine

  " L'expérience des cocotiers, de l'île déserte et de l'oubli n'est pas à la portée du premier citadin venu, il y faut du détachement et de la grandeur… La bagarre, finalement est une intoxication, le but, il est loin, mais la bagarre, elle, est quotidienne."

 Bagarre, aiguillon des éveils et des couchés, te souviens-tu de ton but, après tout, on sait plus… Conditionnés à la lutte, on se retrouve avec une forte dose d'agressivité, d'élan, de punch. Tant qu'il en reste, on gratte, on écorche, on fait des trous, on les rebouche, on en fait d'autres pour utiliser la terre en surplus, on en refait d'autres...

Après, eh bien, on s'essuie le front, on compte les trous, on pose la pelle et on regarde le soleil se coucher en se demandant comment on n'a pas pensé plus tôt à jouir de la féerie d'un ciel pareillement embrasé !

Trop tard ? trop tôt ? y'en a qui trouvent la question sublime, s'en tortillent les tripes, s'en font des nœuds avec des poèmes qui, avec des regrets orgueilleux frémissent de s'éloigner du vulgaire pékin et avec des transes saccadées de puce estropiée, montent se cogner au néant.

Et ça se dit Elu, Prophète... simple sublimation de ventre creux... Bullshit ! (Boulle de merde!)" 

Je confirmerai plus tard cette impression en vivant au Laos, trop de nonchalance heureuse ennuie… J'aurai à le quitter… pour ne jamais l'oublier…!


Guamenienne

Avec la fille de Ben.


"Le Péninsula d'Hong-Kong à répondu...

16 août 71 . On n'attendait plus rien du Péninsula d'Hong-Kong, tout était en règle, conditions, application pour le visa de travail, etc.. Ce matin, nous recevons un comtrat comprenant outre ces clauses toutes britanniques : 

Interdictions de s'assoir à la table des clients ni dans un autre endroit public de l'hôtel. Un repas vous sera servi entre 6h30 et 7h30 dans la salle à manger réservée au personnel et un sandwich après le travail défense de fumer, etc... et pour terminer : "Very formel indeed".

La réponse n'a pas tardée, le soir même lettre est postée, très polie, dans le meilleur style anglais grâce à Paul (américain), qui lui, peut parler, aussi, très bien l'anglais !

On a souvent été bousculés mais avec ce mépris distant : jamais. Nous refusons donc ces conditions draconiennes et renvoyons le contrat non signé... ça va être long, une bonne semaine pour se faire du mourron ...

La proposition d'Hawai n'est certainement pas étrangère au ton intransigeant de notre réponse. On peut s'imaginer qu'avec tout nos déboires passés, on prend chaque fois du poil de la bête... Et bien non, chaque nouveau contrat nous laisse désorientés, chaque pays a ses coutumes, ses lois, ses immigrations, véritables filets aux mailles plus ou moin serrées suivant votre nationalité, votre race...ses syndicats.

Quant à l'Amérique, ses représentations consulaires sont plus ou moins importantes suivant les relations politico-commerciales établies entre votre pays et celui dans lequel vous voyagez : autant de façons de se faire piéger ! Bien entendu, le contrat est arrivé au dernier moment pour forcer la signature.


 Embrouille à la japonaise (suite)

18 aoùt 71. Depuis 15 jours, à l'hôtel voisin, un orchestre italien est arrivé, on a sympathisé tout de suite. Michèle est mariée à l'un des musiciens, ils sont installés à Tokyo depuis 4 ans, elle parle couramment japonais. Tous les 6 mois, les musiciens doivent sortir du Japon afin de renouveller leurs visas de travail : c'est pour ça que les "Casanova" sont actuellement à Guam, moins payés bien entendu !

Au bout de 15 jours, Michelle décide de rentrer au Japon, son fils 10 ans doit reprendre les classes au Lycée français. A l'aéroport, à l'immigration japonaise : - Où est votre mari ? D'abord surprise de la question, elle explique en bon japonais qu'il attend son visa de travail...

L'employé est d'abord très troublé qu'une femme puisse abandonner son mari... - But de votre visite au japon ? - Mais, c'est pour mon fils qui doit rentrer à l'école... - A l'école ? mais vous rentrer en touriste ! C'est impossible d'aller à l'école au Japon quand on est touriste !

Et voilà ! Un grain de sable dans le raisonnement cloisonné japonais... Là-dessus, le tempérament pied-noir de Michèle s'emflamme, la situation d'irrémédiable et administrative devient outrageante alors qu'il aurait suffit de dire le plus niaiseusement du monde et en très mauvais anglais : "- Mais monsieur, j'aime le Japon ! Je suis depuis 15 jours à Guam et je m'ennuie de votre très beau pays, les gens sont tellement gentils..."

Avec de préférence le frissonnement du détail culturel qui va droit au coeur de tout japonais : étudier le koto, le samisen, le théatre kabuki, le cinéma  japonais etc. C'est très recommandé !

Eh bien Michèle a du faire l'aller-retour Guam-Tokyo et Tokyo-Guam dans la journée et à ses frais.


 Notes sur la vie japonaise

Notes de Philou : Les japonais ne peuvent sortir du Japon que depuis 1964. Ils n'obtiennent un passeport qu'après une minutieuse enquête détaillée. La durée de ce passeport est illimitée tant que le voyage dure, mais dès que le japonais rentre au pays : fini ,terminé ! Le gouvernement reprend le passeport.

Coincé, contrôlé, chaque japonais est fiché dans la grande machine judicicière. Même nous, les étrangers sommes fichés, la mama san, "concièrge" de votre maisonnette, doit remettre au policier qui vient la voir, une fois par semaine le détail de vos activités journalières, vos allées et venues, vos petites amies, tout est enregistré !

Pourtant, moi, je me suis toujours senti plus libre à Tokyo qu'à Paris... peut-être parce qu'on ne se sent jamais jugé... Si vous amenez des filles différentes, à la maison et à condition de respecter les règles du silence, vous ne déclancherez pas "la gueule" mais plutôt une complicité tacite, une participation à votre succès...c'est une sacrée différence !

Lire ou relire "Rencontre de Daniel Zabo" dans " Vie en Extrème Orient"


  Positif pour le "Péninsula"

25 août 71: Les visas de travail pour le "Péninsula" de Hong-Kong sont prêts à Honolulu, oui, Guam n'ayant pas de consulat britannique, nous avons dû faire notre demande de visas au consulat britannique de Hawaï, il aurait fallu être maso pour écrire à celui de Tokyo ! Ben veut nous payer huit jours de vacances à Saipan !

Ça y est ! le "Péninsula" a répondu, on commençait à perdre le souffle, on se voyait déjà vissés à Guam, à la merci, des grands sourires de Julia, après tout, c'est un impresario et il n'y a rien qui s'accorde plus mal avec l'amitié que le business. Une lettre aimable et souple, on s'attendait à la rigueur britannique, ça laisse supposer que la recommandation de notre ami suisse fut convaincante.

Du coup, Francine n'a plus mal à la tête, plus mal au foie, elle retrouve une dalle féroce. Nous voilà, paraît-il, arrivé à ce qui se fait de plus sélect dans le monde, moi j'avoue être assez fier du duo, trois années de persévérance, de travail assidu, de répétitions. Francine  n'est pas de mon avis : " Tu parles d'une réussite ! Tout le monde nous félicite, en tout cas faut pas compter sur moi pour faire les clowns de la reine et se déguiser en pingouins !

-  Dis, la mère Francine, on pourrait peut-être se payer des vacances du 4 septembre au 1er octobre, tu crois pas que ça nous ferait du bien à tous les deux ?  - Où t'irais - Moi, au Laos, j'adore Jean Hougron, ça s'impose... et puis mon pote Zabo m'a tellement parlé de Vientiane...  - Et moi, où je pourrais aller ?  - Sais pas... en trois semaines... tu peux aller en Thaïlande en Malaisie...

On emporte chacun 200 dollars US et on se donne rendez-vous deux jours avant de commencer au "Péninsula"


Des vacances séparées ?

Francine n'a pas semblé surprise de cette proposition de prendre des vacances séparées, elle sembla plutôt désorientée d'avoir à se trouver seule en Asie pour la première fois. Et puis, elle n'était pas sans voir le manège de quelques petites japonaises qui me tournaient autour, quelle frustration permanente de devoir résister à leurs charmes !

Les 2 japonaises a guam

Michico et Emiko Hazama (x) d'Osaka

Une envie de liberté m'étouffait, depuis trois ans et demi, on vivait ensemble la même bagarre, nous séparant qu'en de rares occasions quelques heures par semaine pour faire des achats bien personnels : bricole pour l'un, chiffons pour l'autre. Guam a renforcée cette intimité, nous étions les deux seuls français de l'île, dans un milieu bidon, sans copains, sans complicité autre que la nôtre, nos balades répétées sur les coraux, à la lisière de la jungle, manquaient définitivement de romanesque. Comme des enfants ayant épuisé leurs jeux, nous avions besoin d'inconnu même si cela comportait certains risques.


On quitte Guam...

5 septembre 71. Si les colliers de fleurs glissés autour de nos cous n'avaient pas été de plastique, nous aurions certainement quitté Guam la larme à l'œil ; pourtant, tous les clients étaient là, une véritable délégation. Le midi, Ben nous avait organisé une barbecue-party à l'américaine et nous ayant vus tous les jours prendre des notes…, suprême délicatesse, à l'aéroport, Ben nous a offert une machine à écrire.

Une gentillesse si simple, si désintéressée, on n'est pas prêts de l'oublier. Salut Ben.


Une arrivée en "Rolls"! au "Péninsula".

5 Septembre 71 :.(Texte de Francine) : Tout de suite, dès la descente d'avion, l'odeur, l'odeur de la Chine, mélange de cuisine, de mazout, d'encens, d'eau grasse et de pourriture avancée : une odeur confinée, l'haleine de centaines et centaines de chinois. Une haleine de chien pelé, de regards durs, coup de pied au cul, môme dans le dos, avide de bol de riz, une haleine de cris en rocaille, une haleine de pousse-pousse qui observe. Assis sur les brancards de sa charrette, il observe le "gwelo" descendre de sa "Rolls" avec le plus grand et le plus froid mépris du monde : " Lui, il est chinois…" En l'occurrence, les "gwelos" c'est nous.

On n'en revient pas… mais si, mais si, une Rolls et une limousine noire du "Péninsula" sont venus nous chercher à l'aéroport !! La "Rolls" pour nous et la limousine pour le matos !! La voiture silencieuse et conditionnée glisse dans les petites rues de "Kowloon", la foule bourdonnante, chaude, glapissante, les boutiques encore ouvertes, les coolies bandés sous leur bambou flexible, leur nacelle d'osier. A l'arrivée, il ne manque que la fanfare !

 

The peninsulaLes portiers se précipitent, les grooms en tenue, d'une douzaine d'années, ouvrent avec un ensemble étudié les deux battants de la lourde porte de verre devant le bassin où les jets d'eau arc-enciellent leurs volutes chuchotantes. A la réception, on apprend que le manager : Mr Dédoual nous a réservé une chambre pour la première nuit, quel accueil ! Pour la première fois depuis notre départ de France nous allons pouvoir nous octroyer quelques vacances, séparées. Entre la fin du contrat  à Guam et notre "première" au "Peninsula" nous avons un trou d'inactivité de 3 semaines.


Suite dans les pages :

Les vacances de Francine

et

Les vacances de Philou

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