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En Corée

Séoul en Corée du sud.

 

En vol vers Séoul pour notre 1er contrat en Asie :

On s'assoie : tout s'apaise, tout devient euphorique, l'avion est presque vide, nous nous étalons avec délices, choyés par la grâce inoubliable des hôtesses thaïlandaises, jamais vu des sourires aussi chauds, aussi épanouis. Je ne peux m'empêcher de communiquer à Francine :

- Les thaïs sont les plus belles filles d'Asie ! Puis en regardant les hommes d'affaires : - Les premières compagnies qui oseront transformer leurs avion en bordels volants couleront leurs concurents et vite fait ! Y'a bien des voyages organisés avec filles fournies à chaque escale...

Je lui montre un journal sérieux : le "Hong-Kong Standard" avec la photo d'une chinoise suivie d'une légende : "Dont stay alone" ne restez pas seul, choisissez une aimable compagnie pour la soirée, call : Ko 47867.

Escale à Taïpé. Vers 7h 30 l'avion perce la brume de Séoul, tâtonne, monte et descend pour trouver la piste. Il fait 0°(centigrade), il a neigé, l'avion pique et se pose sans douceur sur la piste. Après les 21° de Hong-Kong, l'air froid nous surprend. On patauge dans la neige fondue, il neige encore. Les naseaux fumants, on se dirige vers l'intérieur, on se croirait revenus à Paris !


A l'immigration, pas de problème...

- Motif de votre voyage ? -Tourisme... Alex nous avait dit d'arriver en touristes. Pour la douane c'est un peu plus compliqué. N'ayant pas le droit de travailler, on a mis sur nos fiches d'immigration, en face de la mention "occupation" : "teacher" pour Francine et "désigner" (dessinateur), mon premier boulot, pour moi !

A la vue de notre matériel imposant, les douaniers coréens s'étonnent ! et dans un anglais laborieux nous demandent ce qu'il y a dans ces fameuses caisses en bois. Ils discutent, perturbés en se montrant les fiches.

Nous, on fait les idiots. Barba, le ménager du "Chosun Hôtel", avait dit qu'il enverrait quelqu'un pour nous attendre à l'aéroport, qu'est-ce qu'il fout ? On regarde de l'autre côté de la vitre, vers la foule qui attend.

C'est pas notre problème... L'hôtel se débrouillera... on fait mîne d'imiter  un instrument de musique...

Ah ! les douaniers respirent, le problème est éclairci. J'énumère tout ce qu'il y a dans ces fameuses boîtes. L'un prend un bout de papier chiffonné et griffonne en coréen "écho, microphone, high-speaker", ne comprend visiblement, pas mais ça fait plus sérieux. C'est tout simple, on passe sans problème et sans même ouvrir nos "mystérieuses caisses".


1er décembre 70 : A la sortie de l'aéroport, on nous attend avec 2 taxis. Le "Chosun Hôtel"  est à 12 milles, au centre de Séoul. Celui qui vient nous chercher est plus ou moins un agent de l'immigration, il nous prend les passeports, sûrement une combine avec l'hôtel.

On s'en fout, maintenant, on est pris en charge ! Devant nous, un Grand hôtel : une vingtaine d'étages genre "Hilton". A l'entrée : Barba, le manager, italien, se précipite sur nous et dans un parfait français, nous conjure :

" Vite, vite, dépêchez-vous, vous commencez dans une demi-heure ! J'ai un cocktail de français pour l'ouverture de la semaine du cinéma français, le film va bientôt se terminer."

Nous qui étions sûr d'arriver beaucoup trop tard, qui pensions insister sur le fait qu'un matériel, ça se monte, ça se règle en fonction de l'endroit, on n'peut pas refuser… De nouveau, la panique... " Monte te maquiller pendant que je m'occupe du matosl... -Dans quelle valise se trouve le maquillage ? - J'en sais rien, c'est ton problème...".

 Pendant que Francine sème un bordel monstre pour retrouver son alchimie, moi, je constate qu'un des 2 haut-parleurs ne fonctionne plus...,Y'a rien qui m'angoisse plus qu'une panne au dernier moment, le truc con qui t'empêche de chanter même si tu viens de trouver la connerie... - "Francine, dis, tu peux pas écouter si le H.-P. crachote... ? -Tu m'emmerde, c'est ton problème..."

La tension s'installe, les garçons tripotent les boutons... Finalement, je dois tout brancher sur le même ampli, celui de la basse. Voix, guitare, basse, tout se mélange, le son manque d'aigus : c'est épouvantable, dégueulasse...

Tant pis, on attaque, quelle impression on va donner... Heureusement qu'on ne doit chanter que 2 ou 3 chansons ! Barba veut nous présenter à Monsieur l'Ambassadeur. Monsieur l'Ambassadeur : raide et grisonnant, pisse-vinaigre tout-en-banalités, nous recommande de nous faire enregistrer au consulat. "

Et ça ne vous coûtera rien d'ailleurs..." On y compte bien ! Sa femme, composée, terne, surveille le protocole, effleure de temps en temps le bras de son auguste époux et d'un air de reproche de grande dame, susurre : "Dis au revoir, voyons…" 

Barba nous entraîne pour nous faire visiter l'hôtel. Il nous a gratifié d'une magnifique chambre avec un "king size bed", un lit de 2 m 50 de large ! comme il nous a dit : " Pour une fois qu'il y a un couple légitime dans cet hôtel !"

Chosun hotel le bar

Malgré nos négations, nous resterons pour le "Chosun Hôtel" M. et Mme Blot, Francine ne revendiquera de légitimité maritale que devant les clients un peu trop expansifs dans leurs manifestations admiratives. Souvent magnanimes : "On veut bien inviter votre mari aussi", la Francine s'entend taxée de "breath of fresh air"  (bouffée d'air frais !), "sweetie, lovely" et autres sucreries à la con.


Marchandes trottoir

Dehors, il fait un -10° très sec. En sortant du cocon ouaté de l'hôtel, douillettement soporifique, les rues de Séoul happent l'étranger dans son grouillement laborieux. Petits métiers durs et mal payés. Sur les trottoirs, les cireurs de chaussures étalent le cirage avec leurs doigts.

Des mendiantes prostrées dans le froid, un nouveau-né emmailloté dans de multiples chiffons sans chaleur. Certaines vendent trois boutons, quelques pommes, un bouquet de fleurs, des lacets, des fermetures éclairs, des cartes postales. Dure réalité...

Coree marche legumes

Séoul n'est rien qu'un immense marché. Derrière Nam Dai Moon la porte du sud, et Tong Dai Moon, la porte du levant, des stocks entiers de matériel américain sont vendus à la pièce. Ce n'est pas toujours neuf mais c'est du solide comparé à la mauvaise qualité de l'équipement coréen.

Après avoir traîné nos bottes dans la boue des marchés, mangé notre soupe aux choux et nos œufs quotidiens, y'a plus qu'à s'enfermer dans notre piaule. On fume beaucoup depuis que Stash, un business-man américain nous en a filé un paquet d'une livre, jusqu'à 6 cigarettes par soir, faut dire qu'elle n'est pas très forte.

Quelquefois Claude, l'ingénieur, qui a retrouvé sa petite coréenne deux jours après le départ de sa femme pour la France, vient fumer avec nous. Miss Kim, encore une ! roule les cigarettes avec une grande technique, c'est une experte en tout genre, nous dit Claude, chaque jour, elle me surprend. En ce moment elle est en train de me faire essayer des aphrodisiaques de son cru. " Et alors ? - Sensationnel ! le piquet d'tente toute la nuit ! - Ça se voit, t'as vu ta tête ?"


Coree les portefaix

Les portefaix bousculent un peu plus que tout le monde le flot des passants. Ici, les excuses semblent inconnues. Ils transportent ainsi, sur leur dos, des charges incroyables, jusqu'à 2 m 50 de hauteur : vitres, bois, légumes, poissons séchés.

Francine et ph au marche

Plus périlleux encore sont les vélos, renforcés devant, derrière, de véritables porte-bagages ambulants : vélos dignes des pistes Ho Chi Min qui disparaissent littéralement sous leurs charges, jusqu'à 200 kg en sacs de farine, en jerricans de fuel, en caisses de bières... Ça fait un sacré balan mais ça roule tranquillement sur la glace sans aucun souci de la circulation, traverse sans regarder en remontant allégrement le cours des voitures.

L homme au velo


11 décembre :

Soirée annuelle de l'Alliance Française :

A toi Francine, lache toi ! : Faux sourires, chignons champignons, robes à paillettes, bonne cause et bonne tenue, lèche-moignon, rangée de perles et particules, courtoisies, courbettes, conneries, aigreries, lèvres avares et petits yeux écarquillés : ça jauge finement...

Les "artistes " ? un monde à part, un couple illégitime, un mauvais exemple, on a beau dire : ils n'ont pas l'air comme les autres... Comme ils bavardent ces petits yeux... " Quand pensez-vous rentrer en France ? - Sais pas.  - Vous avez bien la nostalgie de Paris, allons !  - Pas précisément..." Petits rires coincés. "Je vous présente son excellence Monsieur l'Ambassadeur.."

Sa secrétaire nous a dit qu'il passait son temps à la mater avec des jumelles, sa chambre est juste en face la sienne...  " Et vous Mme Francine, vous avez fait pleurer ma femme quand vous avez, si gentiment d'ailleurs chanté  "En passant par la Lorraine". C'est son pays, vous savez..." . Le repas se termine, séparé de sa femme, le directeur s'enfile des cognacs et tire avec complaisance sur un énorme cigare des Philippines.

Chosun et hostesse

Le show attendu...

Une diversion vient affoler les dignes épouses... Au lieu de l'orchestre de danse attendu : smoking, nœuds papillons et bal aseptisé, un coup de tonnerre électrique jaillit des coulisses, cinq coréennes dodues et bondissantes, les reins ceints de soie ruisselante, cuisses à l'air, martèlent de leurs pieds nus la moquette de l'estrade, distorsions électriques et déhanchements provocants, tout chauds, moulus à l'école des G.I.s .

Elles mettent le paquet : la danse apache, le gag de l'ingénue qui perd sa culotte jusqu'au strip-tease à l'égyptienne. Une onde de surprise horrifiée soulève les gorges chastes de l'assistance, la culture ébouriffée se rebiffe, les gardiennes de réputation tournent la tête pour ne pas s'abîmer les yeux, les hommes émoustillés lèvent déjà les mains pour scander le rituel "Hava naguila" de toutes les sauces.

La femme du directeur : "Je t'en prie, arrête ça ! - C'est fini, c'est fini..." Francine lui susurre : " Les femmes ne sont pas très contentes mais, avouez, les hommes sont ravis… "


Le "Groupe Franco Romano"

2 janvier 71 : L'orchestre de Franco Romano est parti ce matin : un contat pour Osaka, au milieu des télégrammes, des valises, du matériel et des ultimes formalités.

Un mois de cohabitation, de rigolade, de spaghetti party, une complicité tacite. Le soir, notre gueulante terminée, on grimpait tout en haut, au "Galaxie" pour les écouter, un excellent orchestre qui copiait  "Chicago", "Santana", "Blood Sweet and Tears" à la perfection, deux d'entre eux, étaient d'excellents jazzmen par surcroît.

Quelquefois le bassiste me tendait sa basse pour swinguer un peu, mais, la plupart du temps, sitôt gravies les dernières marches, je recevais une cloche ou un guiro sur le ventre, "aller ! swingue Philou". C'était leur manière à eux et aux musiciens en général de vous montrer qu'on vous aime bien...

Parfois, quand on la priait un peu, Francine leur chantait "C'est si bon". Elle n'en menait pas large ma Francine d'être accompagnée par tout un orchestre, mais le succès était assuré !

Les franco romano

Nous n'avons jamais discuté, simplement un charabia franco-italiano-anglais, des mots tout simples : fatigués, contents, couchés tard, baisé, trop baisé, ça va, ça va pas mais on sait que l'amitié, la chaleur brillait dans les yeux : faire le même boulot, rire aux mêmes conneries.

Ils sont partis et on s'est dit : " Tiens, c'étaient des potes. C'est toujours pareil et c'est jamais marrant… " Un ami d'perdu, dix de r'trouvés… " Quel est le con qu'a sorti ça ?"


Secret d'Ambassade,

Texte de Francine : Patricia, première secrétaire, petite snobinarde parisienne  qui  compense  son manque de charme par un verbiage agressif et exclusif parsemé d'argot intellectualisant du 16e, enfin, notre première secrétaire débarque nez en l'air dans le coffee-shop et nous aide à avaler notre "bulgogi" quotidien en nous contant des histoires croustillantes sur notre Maxou national.  Maxou  n'est pas un ambassadeur comme les autres, ou plutôt si,  Maxou  est économe.

Comme tous les hommes de Séoul encombrés du poids de l'épouse légitime, Maxou se rend tous les samedis dans son petit massage-bordel, mais lui, ne veut pas payer au delà de 700 à 800 wons (environ 300 wons pour un dollar U.S.), ce qui fait qu'il attrapa une belle chaude-lance.

Dans cette même petite maison malfamée, il arriva qu'il se fît attaquer et dévaliser. C'est son chauffeur, qui, pour expliquer une bosse proéminente et un retour à la maison au petit matin, déterra une histoire de parapluie et de clé égarée !...


 Patricia  est intarissable :

" Et la chaussette... Ah ! cette histoire de chaussette est passée sur les lèvres des 4 continents..."

Elle continue: " Maxou, comme il se doit, donne une fois par semaine son linge à laver à la bonne coréenne de l'ambassade, mais, au hasard d'une pince à linge négligemment pincée, il advint qu'à l'inventaire une chaussette manqua à l'appel. Horreur ! il déclenche le dispositif de sécurité, convoque tous les flics de l'ambassade et donne l'ordre de ratisser toutes les chambres du personnel : rien.

Après chaudes délibérations, il ressort que le coupable ne peut être qu'un homme, qui sera vite le cuisinier puisque étant le seul homme de l'Ambassade... Sus au voleur et c'est ainsi qu'à travers la baie vitrée, des petits yeux attirés par l'odeur de souffre assistèrent à l'accusation véhémente du coupable : un coréen grand et fort qui s'en prit illico presto à l'encolure empesée de "Son Excellence"... " Il fut congédié et l'Ambassade toute entière regretta sa gentillesse et surtout sa cuisine raffinée.

" Et  Patricia  dans un éclat de rire : "Une semaine plus tard, les Ambassades du monde entier dépêchèrent sous pli cacheté et à titre personnel : une chaussette..."


Ambassades : usages et mode d'emploi

Texte de Philou : Ce sont des endroits où il faut se présenter dans une tenue réglementaire : chemise, cravate, chaussettes et souliers cirés. Si possible éviter l'excentricité. Des lieux où il vaut mieux ne se présenter que pour de strictes formalités, comme pour un renouvellement de passeport. Il vaut mieux les éviter à tout prix si on a besoin d'aide, si vous êtes dans une mauvaise passe, c'est de votre faute…

Exemple : un copain rencontré au Mexique s'est fait voler son passeport à New-York, son argent et tous ses papiers. Son premier réflexe fut de se présenter à l'Ambassade de France : "Je suis français, je me suis fait voler mon passeport et mon argent." Réponse : " Qu'est-ce qui prouve que vous êtes Français ? 

- ???... mais enfin, vous voyez bien que je parle français... de la région toulousaine, ça s'entend non ? - Ça ne prouve rien. - Mais... j'ai de la famille, une adresse, vous pouvez vérifier, même leur téléphoner...

- Prouvez-moi d'abord que vous êtes Français. - Mais puisqu'on m'a volé mon sac avec tous mes papiers !

La machine kafkaïenne s'est mise en marche. L'Ambassade refusa de faire les recherches et on s'amusa de lui en le renvoyant de bureau en bureau des semaines durant.

Si le même problème arrive à un Américain : le présumé citoyen américain doit jurer sur la bible qu'il est bien américain et qu'il dit la vérité, le lendemain, il aura un nouveau passeport, là, l'ambassade américaine fera son enquête, à elle de prouver la culpabilité de l'éventuel fraudeur : subtile  différence...

S'il y a fraude, la sanction sera lourde en plus de la suppression du passeport... C'est peut-être à des détails comme cela que l'américain peut se sentir l'homme le plus libre du monde.


 Un contrat au Japon ?

5 janvier 71 : C'est le délire, on vient de recevoir une proposition de contrat pour le Japon ! Un dénommé  Itazawa,  vaguement entrevu dans la lumière intermittente de la discothèque dans une conversation hachée au milieu du tonnerre de l'orchestre, coupée de :

" Pardon me, I don't unterstand ", on n'y croyait pas et pourtant 6 mois s'il vous plaît et payés 1.200 U.S. dollars, voyages payés.

Le soir, on a du mal à chanter, entre chaque morceau, ça discute sec. Emportés par l'élan on en vient à considérer dans quelle mesure Mao a conservé les enseignements de Confucius dans sa révolution, entre les pâmoisons de la  " Vie en rose"  et les youp-là-boum de " Prosper! ", deux gros succès du répertoire demandés et redemandés tous les soirs par les américains qui trônent au bar avec leur coréenne de service, hilares d'être si laids et d'avoir une si jolie fille pour si peu cher et jalouse par-dessus le marché !


Et la Culture bordel !

16 Janvier : ..." Vous permettez que je vous fasse une critique ? " C'est Patricia qui dîne ce soir avec Volcan, un beau Turc d'attaché d'ambassade.  "Je n'aime pas votre répertoire, ça ne vous va pas du tout de chanter des chansons américaines.

Moi, si j'étais vous, je ne ferais pas attention à ce que les gens demandent, enfin, c'est vrai, il faut les remuer ces cons-là ! il y a assez de belles chansons françaises : Moustaki par exemple, je vous vois très bien chanter : "La carte du Tendre", c'est génial, cette chanson, vous ne trouvez pas ? "

Francine exulte : "Génial, géniale Barbara, génial Jacques Douai, géniale Anne Sylvestre, géniales les belles chansons du folklore... Les débuts de Mexico avec "Le Roi Renaud, Aux marches du palais" ; la première audition à Montréal au "Lutin qui bouffe" avec "Lisande" et "Elle file", chanson anonyme du 16e siècle, tout ça pour échouer dans toutes les tavernes de la "Belle Province .. - Alors moi, si j'étais vous ! 

Francine continue de plus belle : "Il a fallu en rabattre, en recevoir des mornifles gluantes de bière, il a fallu les remuer "ces cons-là", il a fallu en traverser des flaques de dégueulis... Ah ! si tu savais la hargne qu'il faut pour affronter les bûcherons de Sept-Iles, de Forestville, les mineurs de Royn-Noranda, de Val d'Or et de Chibougameau."

J'en remets une couche : "Maintenant, on vient nous parler d'éduquer les gens..."

- Vous apportez la Culture française en Corée", dit le Consul  et certains des ingénieurs des "Ponts et Chaussées, mais d'autres nous réclament "La grosse bitte à Dudule"... faut savoir…

Francine prend le relais : "La Culture, c'est pour l'Alliance française et venez pas nous emmerder parce que nous, les subventions, les dons d'honorables bienfaiteurs et les sucres d'orge de fin de carrière : ballon... alors laissez-nous chanter nos rengaines et contentez-vous d'épousseter vos reliures."

  Elle n'a pas pipé la Patricia, abasourdie qu'elle était…


Port de Fusan,

Embarquement pour le Japon

25 janvier 71. A force d'attendre visas et contrats de l'Agence Itazawa pour entrer au Japon, nos 2 mois de visas de travail arrivent à échéance, et les emmerdes avec ! Une solution s'impose, il faut entrer au Japon à Chimonoseki en touriste, et revenir le lendemain en Corée en touriste afin d'attendre le fameux contrat japonais.

 Texte de Francine : Derrière nous, des cris retentissent dans le hall, une famille coréenne, une vingtaine de personnes en grappe serrée, soutient la mama en proie au délire du chagrin. Elle attrape ses 4 enfants prêts à monter sur le ferry, les secoue les uns après les autres, jette sur eux sa tête boursoufflée comme si elle se cognait contre un mur en poussant de longs hurlements de bête blessée.

Les enfants hoquètent, toute la famille pleure, les hommes aussi, sans pudeur, mêlant leurs corps et leur douleur, ils s'agrippent les uns aux autres pour figer ce lien familial en train de se déchirer, totalement dépassés, impuissants, démunis et la mama, encombrée dans ses longues jupes presse, pressure, arrose de larmes cette chair arrachée à sa chair.

C'est tout proche le Japon, mais suffisamment loin pour ne pas pouvoir prodiguer cet amour physique, bonheur vital quand tous ces corps se couchent le soir dans l'unique pièce, heureux de se retrouver, de se réchauffer comme des chiots dans un même panier.  Amour primitif et total : c'est une famille.

Intimité ? Individualisme ? Connaissent pas, dans la foule, ils se bousculent sans s'irriter, ils se supportent sans se gêner, leurs rapports ne connaissent pas l'agressivité.


2 mars 71 : Toujours pas de Visa : on aurait du commencer hier !

6 mars : Toujours rien, aucune nouvelle, c'est comme si cette histoire de Japon n'avait été qu'une vaste blague. La mama nous néglige, Francine est obligée d'aller chercher ses filles pour qu'elles fassent le ménage, on ne les voit plus, une heure pour lui faire comprendre qu'on avait besoin de papier à chiottes et, surtout, ne jamais s'énerver ou c'est l'hilarité générale !

Merde, on caille dans la piaule, pour se réchauffer, on va lire les nouvelles sur le télex du "Chosum Hotel" : "Tiens Fernandel est mort ! C'était l'idole de mon père…"


Bilan de notre rencontre 3 ans plus tôt..

Trois ans déjà depuis notre rencontre au "Slow-Club". De Paris, nous n'avons gardé très peu de souvenirs communs. J'avais une vie de musicien plus que confortable, Francine sa vie d'étudiante. Nous avons pourtant quelquefois fait l'amour, entre deux barricades, dans l'exaltation, à deux dans un même duvet ! La tête pleine de projets… entre deux démarches... nous avions trop à faire.

C'est dans les difficultés que nous avons commencé à nous sentir, rien de l'amour fou, pas de possession, 1968 oblige ! Mais un élan irrésistible vers le voyage.

Trois ans déjà, on se supporte bien, on travaille ensemble, on répète, chante, mange et dort ensemble, on fait l'amour et on se balade, on discute et on s'engueule et c'est toujours ensemble. Pas d'illusion ni idolâtrie : une merveilleuse amitié.

Francine fille de petits bourgeois catho-pratiquants ; moi, fils d'ouvriers : un ajusteur "CGT" et une bobinière. On s'est frotté, bien sûr, aux épines de la liberté.

On se souvient… Un soir, au St Vincent à Montréal : " Dis, la p'tite nénette aux yeux bleus, là devant… elle m'énerve, tous les soirs, elle ne te quitte pas des yeux, alors, couche avec et qu'on en parle plus.

- Vraiment... Pascale ?... tu... je peux... ? -T'es libre, vas-y, mais fais vite...! 

Quelques heures plus tard, j'ai retrouvé Francine, ma compagne, en larmes. Elle m'a dit s'être sentie rayée, inexistante pendant quelques heures, dans l'oubli le plus dur… Ça lui a fait très mal mais Francine persiste à croire que la jalousie est une maladie qui s'attrape par l'éducation.

J'apprendrai à me ranger de son avis, bien plus tard, au début des années 80 en travaillant à "L'Espace du Possible…" à Meschers.


Toujours pas de visas…

16 mars 71.  On en a marre de téléphoner à l'Ambassade du Japon… On y va… : " No ay visas ! " On est perplexe, mes yeux se portent sur plusieurs piles de passeports aux  couleurs différentes. " Francine…  regarde sur les étagères… Il y a deux bleus, ensembles … "

Je lui désigne les "blues passeports" ; La secrétaire relit nos noms sur le papier que l'on vient de lui donner : Blot Lucien  et Hourdebaght-Larusse Francine. Elle est sure d'elle : " No ay !

- Please let us see the two blue french passeports ?"  Elle hésite puis nous les tend… Ils étaient classés dans la pile des "L" : Lucien et Larusse ensemble…, normal non ?


Coree temple 2

Francine  et miss Kim. (j'ai oublié le nom du temple)


Suite de nos aventures dans la page :

Casse-tête à Tokyo

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