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"Embrouilles à Tokyo"

 

17 mars 71. On débarque à Tokyo. "Les vaches ! , ils ne nous ont donné que 60 jours de visa pour un contrat de 6 mois !".

Un minibus "B.B.Promotions" nous attend. Le cinéaste italien Caramello aussi, c'est quand même autre chose qu'à Hong-Kong et un peu mieux qu'à Séoul. Le chauffeur japonais veut nous emmener tout de suite au bureau d'Itazawa. On arrive : personne... Le patron ne rentrera que demain !

Allons chez moi, dit Caramello, il y a une petite chambre de libre pour vous : 4 Tatamis c'est pas grand mais c'est mieux qu'à l'hôtel et puis avec tout votre matériel... Le chauffeur accepte de nous emmener. Deux heures plus tard nous sommes dans un Tokyo silencieux, maisonnettes d'un étage, toutes en fragilité, des plantes, des arbustes, chaque mètre carré libre est doté de végétations, je retrouve le calme de mon village de Pontaubert ! C'est là.

Chez le cineaste caramelo


Philou recherche son "Fuguestudo" !

18 mars 71. Je me faisais fort de piloter la mère Francine dans Shinjuku, un mélange de Quartier latin et de Pigalle réunis : 7 ans plus tard, ce fut un peu moins simple que prévu! : " Le métro... c'est pas possible, ils ont changé de place ma sortie habituelle ! j'reconnais plus rien..."

On l'a quand même retrouvé ce fameux "Fuguestudo", ce café international, rendez-vous des voyageurs du monde entier, le "Chez Popoff " du temps où il existait encore, mais en plus chicos. Aux murs, des tableaux modernes vieillissants et du Beethoven ou du Bach à tout berzingue. Ça fait plaisir de découvrir enfin des asiatiques qui ont une gueule, un regard.

On commence à se sentir bien quand un grand mince tout de noir vêtu, le cheveu blond, court et rare, l'œil bleu, clair, si clair, humide... Cet être fébrile s'adresse en anglais à Francine et lui demande si elle veut bien se présenter pour un interview, il s'agit d'une photo publicitaire  : 10 000 yens, payés cash  (à l'époque : 360 yens pour un dollar US). Pourquoi pas ?

Un japonais, très formel celui-là, vient nous chercher en taxi et Michel, c'est son nom, d'origine allemande, depuis trois ans au Japon, nous propose ce que nous avions deviné depuis le début : de l'acide.

Nous ne sommes, ni Francine, ni moi, en quête une telle expérience." Merci, mais avec le boulot qu'on fait c'est pas possible."

L'interview en question se limita à une fiche à remplir : couleur des cheveux, taille, etc. On nous pris tous les deux au polaroïd une bonne douzaine de fois chacun, puis on nous renvoya bêtement dans nos foyers !

Là, on apprit que le japonais était chargé de faire le recrutement dans le but de monter une agence de mannequins. - Si tu veux mon avis ma ptit' Francine, ça sent la flicaille à plein nez... c'est leur méthode aux japonais.


Francine fait du cinéma...

22 Mars 71 : "Alors la Francine t'as été faire du cinéma ? - Oui, bof ! Je les ai envoyés bouillir. En fait d'un film artistique où d'après Caramello, je devais courir dans un pré puis me  déshabiller au bord d'une fontaine, le producteur japonais changeait tellement le scénario que ça devenait petit à petit un film de cul !

Le metteur en scène japonais, lui, était sincère mais le producteur voulait un film qui se vende, on connaît la chanson!...  Caramello  était très emmerdé, il a pourtant insisté en lui expliquant que je n'étais pas une pute... Le metteur en  scène était au bord des larmes, je crois qu'il avait mis beaucoup d'espoir dans ce film, en plus, je crois que j'avais un sacré ticket avec lui.

" Oui, les françaises, partout dans le monde, ont une sacrée réputation : " Les p'tites femmes de Paris", le "french-cancan" quoi… ça vous colle à la peau...t'as bien fait, la Francine, bravo !


On est pas assez "Show"...

A Tokyo depuis 3 semaines  on est pris  dans les mailles inextricables des raisonnements obscurs d'un imprésario nippon qui n'arrive pas à placer notre Duo. Nous ne sommes pas assez "Show", du type "Moulin Rouge"...). Des hommes d'affaires suisses rencontrés à Séoul au Chosun Hôtel parlent de nous sortir de là, ils parlent d'une éventuelle possibilité d'un contrat de 3 mois au Tokyo Hilton...


Les plans "fantaisistes" de Tokyo

En attendant, je suis en train de dessiner un plan de Tokyo à "l'occidental" où trains et métros vont se superposer à la même échelle. Certes il y a des plans de métros, de trains sur Tokyo mais aucun ne correspond à notre concept de représentation. Et pour brouiller les cartes, le nord, qui, chez nous, est toujours en haut de la feuille, peut se trouver ici dans n'importe quel sens !

Imaginez un plan de Paris, Bois de Boulogne à droite et Bois de Vincennes à gauche... ou, en biais sur une feuille… De plus, ces plans sont souvent distendus, tout en longueur ou tout en largeur suivant les possibilités... au hasard d'une mise en page.

Conséquence, il nous est impossible d'établir les moindres notions de distance ou de projeter un itinéraire ! A la question souvent posée : "Quel est le chemin pour aller à tel endroit ?" : les japonais répondent en temps : 1h 30, 2 heures. Impossible d'en savoir plus !


Francine et les japonaises.

Francine ne peut pas rester cinq minutes seule dans un club sans avoir des gros tickets avec les japonaises ; elles se mettent à ses genoux à la façon des hôtesses, la mangent du regard :  Caballi (jolie  ). - Dis donc, elle n'en peut plus la cousine ! C'est pas à moi qu'ça arriveraient ces mamours ! - Baby ? - Oh ! non. Pour vérifier, elle lui passe la main sur le ventre et rit de ce rire qui égaie chaque phrase féminine.

Moi, je me marre : - Laisse-toi inviter, t'auras droit au "O Furo", au massage et au grand cinéma, faut connaître ça au Japon... "-T'es marrant toi, j'suis pas lesbienne, enfin, j'pense pas ! ".

On ne peut que constater cette amitié, cette complicité entre femmes au Japon, sans doute à cause des hommes qui leur parlent brutalement. - Comme elles sont très sensibles, elles se comprennent sans doute beaucoup mieux entre elles.

- Oui, il semble ne pas exister, comme en occident cette agressivité entre femmes, ce sentiment aigre de compétition qui leur fait relever le nez et jeter des regards inquiets sur l'ennemie virtuelle."


Une audition au Tokyo-Hilton

6 mai 71 . On ne sait plus sur quel pied danser ! tant d'émotions en si peu de jours. Finalement, nous avons obtenu grâce à notre copain suisse qui travaille-dans-les-montres, un rendez-vous avec le "Food and beverages manager" de l'Hôtel-Hilton.

On a décroché une audition. Cette audition, on l'a peaufinée, un pot-pourri de 25 minutes avec toutes nos meilleures chansons. A l'heure H, Fuji le "captain" du bar nous recommande " Surtout pas trop de bruit". On ne l'a pas trop écouté.

Résultat : tous les clients ont tourné leur siège, ont applaudi très fort comme à un concert. Le captain du bar, lui, n'est pas très content, parce que, dit-il : " Trop absorbés, ils n'ont même pas consommé"... c'est la meilleure… ! 

Néanmoins, il ne peut pas nier, ça plaît ! Quand tous les clients se mettent à applaudir avec des sourires transportés, on ne peut pas faire autrement que de se donner à fond. (Notre copain Suisse avait passé le message... aussi beaucoup d'hôtesses et steawars d'Air France étaient là !)

Le captain Fuji (en anglais) : "Vous comprenez, ici c'est un salon de thé, on discute de millions de dollars !"

Extraits de notre répertoire : (0): Scarborouh fair (Trad. anglais).  1m/n 20 : La vie en rose (Monnot -Louigy).  3m/n40 : Samba sur une note (Jobim -Distel). 5m/n 27 : Guantanamera (J-F Diaz). 7m/n 14 : La bamba (Trad sud américain et mexicain. 9m/n 03 : Un homme, une femme : (Barouh-Lai). 11m/n : Raindrop keep falling... (Bacharach Hal David). 12m/n 50 : La Seine (Monod -Lafarge). 14 m/n : Pigalle (Ulmer- Koger). 14m/n 05 : 500 miles (Plante-West). 17m/n 26 : C'est si bon (Betti -Hornez)

Tokyo hilton et l hotesse

La "captain Hostess" du "Lipo bar à l'Hilton"


Un répertoire ciblé.

Rapidement nous eûmes nos "fan", je remarquais que des groupes d'étudiantes venaient régulièrement tous les lundis, d'autres groupes tous les mardis ... les "request" n'étaient pas les mêmes en fonction des jours !! Les musiques de film de Michel Legrand, de Francis Lai, les chansons de Lemarque étaient demandées tout au long d'une soirée. Il fallait que je reprenne mon répertoire que Tanaka m'avait conseillé de chanter 7 ans plus tôt ! " Tout ce qui parles de Paris ! " m'avait-t-il dit : Sous les toits de Paris, la Seine, Paris canaille de Ferré et surtout le "Çà c'est Paris" de Mistinguette ! (relire la page "Vie d'un musico à Tokyo" (en 1964)


 Francine fait le point.

  Depuis le 7 mai à l'Hilton, notre contrat est prolongé jusqu'au 20 juin, jusque là c'est positif. Mais Itazawa, notre ancien agent nous doit toujours 600 dollars. Nakano, l'avocat timide, se fait répondre invariablement que M. Itazawa est en "déplacement", nous attendons toujours de signer la résiliation du contrat. D'autre part : nous sommes en pourparler avec deux agences :

L'agence A. Présentés par Susuki, l'assistant manager de l'Hilton, celle-ci nous a ménagé une audition avec le manager du "Prince Hotel".

L'agence B : Une des plus grosses agences qui fait venir Marcel Amont, Charles Trenet, Enrico Macias, après nous avoir entendu, a répondu : positif et accepte de payer 1500 dollars par mois et le retour en France…  Pour éviter les salades, on a cru bon de mettre cartes sur table en mettant l'agence B au courant de notre audition avec l'agence A, de façon à ce que ni l'une ni l'autre ne perde la face !

L'agence B nous a répondu que l'agence A était très bien placée pour le "Prince Hôtel", c'est tout.

Question : Que devons-nous faire ?  Réponse : attendre... Positif ne signifie rien d'autre que positif et n'entraîne la signature d'aucun contrat, n'oublions pas que nous sommes au Japon : pas de précipitation.    Voilà où nous en sommes : pions passifs d'un échiquier extrêmement complexe, nous subissons l'organisation japonaise dans toute sa pesanteur et son mystère. Si vous avez quelque envie de travailler au Japon, ceci pour vous donner une idée, n'allez surtout pas croire que ces complications sont réservées au show-business, d'après nos amis suisses c'est une guerre sourde et lente destinée à miner tout étranger. Certes, il y a des lois très strictes au Japon, mais elles sont faites exclusivement pour les japonais, les étrangers : qu'ils se débrouillent !


 A l'Hilton : rencontre de "Tonton Henri".

Au Lipo bar, un messieur seul, de type européen vient nous écouter régulièrement "Il ressemble à mon Tonton" dit Francine. En très bon français, il se présente " Henri Fouad, Libanais" . A minuit, après notre dernier passage, on monte dans la suite 1005 : trois chambres, 3 salles de bain, un immense salon, une salle à manger-cuisine-entrée, le tout pour la bagatelle de 160 US $ par jour (800F).

Depuis une semaine, on a planté notre tente dans ces appartements. Tous les soirs, c'est le show ! Grâce à une bonne  adresse  de mama-san  spécialiste des riches étrangers, chaque soir, c'est le défilé, ça commence  à téléphoner en début de  soirée : "You need me ?" Il y a de tout, depuis la beauté  classique qui sert le thé à la façon  des geishas jusqu'à la follingue qui organise les jeux et danse le can-can en lançant à la Josephine Baker des percutants "Ça c'est Palis"  avec un accent délicieux. Masseuses  expertes, spécialiste en Ikebana .

Ici, tout ce monde vient proposer ses services en échange d'un petit billet de 10.000 yens qui sera discrètement glissé dans l'échange de poignée de main lors du départ tardif. Non, ce ne sont pas des prostituées. On a discuté avec la spécialiste d'Ikébana, c'est une céramiste qui vient arrondir ses fins de mois, d'ailleurs, son bouquet fini, elle s'empresse de rentrer chez elle.

L'autre, la pseudo-geisha avait dans l'idée de se faire admettre dans le harem du roi, on a essayé de l'en dissuader, on a perdu notre temps, d'ailleurs de quel droit ! : "Vivre c'est choisir, mais choisir c'est renoncer..." (A.Gide).


 Les soirées chez "Tonton Henri"

En  japonais, en arabe, en anglais et en français, à partir de minuit, c'est la séance de rigolade et c'est aussi la grande bouffe. Au Japon, c'est rare et on en profite. Ce soir, repos, pas de femmes.

Tonton  Henri, deux Séoudiens, Francine et moi, on se tape un steak de Kobé avec du Nuit St Georges. Son Excellence dort, elle est arrivée ce soir après 20 heures d'avion, du calme. Fouad, alias "Tonton Henri s'isole dans la pièce d'à côté, pour donner un de ses innombrables coups de téléphone à travers le monde, le décalage horaire ne le tourmente pas, il sait d'instinct à quelle heure il peut toucher son homme de confiance de Los Angeles, de Paris, de Jedda ou d'Hong-Kong.

Tonton Henri fait des affaires dans le pétrole et en corolaire dans les tanks, dans les avions, particulièrement dans les "Mirages". Il arrive dit-il à passer plus de temps en avion que dans aucun  pays ; il paraît  même qu'en France, on leur fabrique un avion, un "Concorde spécial". Après sept ans de négociations, à pas menus par des chemins mystérieux … ses affaires sont en voie de dénouement parait-il...

Tonton henri

Tonton Henri , Francine en blonde et Philou en Beatlles!

Soudain, à la porte de la salle à manger, un inconnu hirsute, yeux bleus, en pyjama, se pointe, l'air ahuri ! Ou il est bourré, ou il est somnambule...  Je me tourne vers Francine : "Qui c'est c'ui-là? ". Les deux saoudiens n'ont rien vu. Francine leur demande : "Do you know this guy ?" (connaissez-vous ce type... ?)

L'un d'eux se lève, se précipite, le second explique : "Son excellence ! " Bon… bon… on s'éclipse, on reviendra demain pour les présentations, on est un peu fatigués vous comprenez... On ne peut quand même pas deviner que son Excellence d'Arabie Saoudite a les yeux bleus et le teint clair parce que le roi, son père, s'était épris d'une beauté slave dans son harem… Eh !


Une  copine du "Slow-Club"...

Mado a tokyo

Un soir au Lipo Bar, une voix connue nous interpelle ! " Salut les copains ! - Qu'est que tu fous là Mado ?"  Mado, habituée du Slow-Club, qui, comme nous, a fuit Paris après les manifs de 68 nous dit avoir passé un an en Australie ... " Mais qu'est-ce que tu fais à Tokyo ?, - je suis hôtesse dans un bar... - ??? , ??? - C'est pas drôle, je suis louée à l'heure pour tenir la conversation à des riches japonais qui veulent faire des progrès en anglais ! J'ai eu le tuyau par des australiennes ! C'est très bien payé.

Une dizaine d'années plus tard dans d'autres aventures, je retrouverai Mado Maestracci tenant un salon de thé à Amsterdam ! Salut à toi Mado !


Rencontre de Julia Pary.

17 juin 71. Au Lipo Bar de L'Hilton. "Je  me présente : Julia Pary, agent  Show-business, j'habite dans l'île de Guam, je vous ai déjà écoutés hier soir, êtes vous  intéressés pour aller à Guam ? c'est un paradis..." 

Elle nous tend sa carte. Grande, mince, élégante, des yeux très bleus, un sourire plein de charme... et puis, avec une américaine, on peut discuter  "Francine, t'as pas envie de dorer ton p'tit cul sous les cocotiers ?"

  - Si, quand est-ce qu'on part ? Julia nous montre un petit magnéto : " Permettez-vous que je vous enregistre, je pourrai ainsi faire écouter ce "tape" à plusieurs hôtels de Guam. - O.K. !".

On est plutôt excités, quitter ce Tokyo sans ciel, cette grisaille... Allez hop ! un pot-pourri de 20 minutes, pas trop long, sinon les types n'écouteront jamais jusqu'à la fin. Je fais, vite fait, une liste de nos meilleures quinze chansons à enchaîner dans un ordre "crescendo", avec changement de tonalité soigné entre chaque morceau.  "Vite, le "captain" regarde encore sa montre...! - T'affole pas ma cocotte, c'est comme si on était déjà sur la plage…"


 Dernier soir à l'Hilton :

les dernières embrouilles...

27 juin 71. Suzuki s'avance timidement  "Am sorry...-Vous n'avez pas le chèque...?. Il est très malheureux, c'est pourtant l'assistant "Am sorry ! tomorrow morning."

L'ombre falote de Ishizuka s'avance : enfin le contrat, le dernier soir, il était temps ! mais c'est l'heure de commencer... -Peut pas s'amener avant, celui-là... Next break please... (A la prochaîne pose )

 On se marre, on s'enfuit en gloussant, en gloussant parce que le "captain" vient de nous remettre à l'instant un télex de Hong-Kong.

Le manager du "Peninsula Hôtel" de Hong-Kong accepte de nous prendre à partir du 1er octobre pour un contrat de six mois, 1.500 dollars U.S. par mois, nourris mais non logés.

Evidemment, ce n'est pas un contrat, c'est un télex, mais une parole de Suisse ça vaut mieux que tous les contrats japonais réunis. Notre copain a tenu parole, il a parlé de nous et apparemment, ce fut convaincant.

Francine me désigne Ishizuka : " Et l'autre avec son contrat à la main, il me fait pitié, qu'est-ce qu'on va lui dire ? - Pitié, pitié, faut pas exagérer, t'as déjà oublié Itazawa... faut faire comme eux... A la japonaise…, tu dis pas "non", mais tu fais attendre" .

Pendant toutes les chansons, je cherche le moyen de faire attendre, c'est que je ne suis pas japonais moi et le mensonge, ça n'a jamais été mon fort : l'éducation que j'ai reçue à Malakoff ne m'a jamais appris à mentir..."

- Ecoute, on verra plus tard, moi j'vais bien en trouver une de raison, faut qu'on chante, les gens croient qu'on s'engueule ! 

" Vas-y pour un "Plaisir d'amour" et sans bavures ! " Une demi-heure après. Ishizuka nous attend dans le lobby. Il nous rappelle l'audition, ne nous avait même pas offert un pot le salaud, alors qu'on avait dû poireauter deux heures au bon plaisir du manager qui était "très busy". "On a soif", qu'on a dit, après nous avoir fait chanter une demi-heure devant des clients sans rien nous offrir.

Pas embarrassé, il nous a proposé : "Orange juice ou coke ?" En douce, il a envoyé un garçon chercher deux bouteilles de Fanta à la distributrice réservée au personnel…

" Celui-là c'est juste pour le gouvernement et l'immigration : voilà votre contrat personnel " - Ah c'est ça, un papier polycopié, moitié tapé à la machine, moitié écrit à la main... quoi !, un seul mois de garantie au "Tokyo Prince Hôtel ", Francine est furieuse, faudrait tout refaire... Et nous, embarrassés, trop cons, nous qui cherchions un motif pour lui annoncer… Elle explose : " Trois semaines qu'il nous a fait attendre pour nous présenter ce torchon… au cul qu'il peut se le mettre son contrat avec les transports aériens à nos frais… j'peux plus lui parler à ce mec…. non, j'étouffe,

Il s'en va, la queue entre les jambes mais qu'est-ce qu'il croit et de nous dire encore la semaine dernière : "Ce n'est pas une raison parce que vous avez eu une mauvaise expérience au Japon qu'il faut douter des japonais." Ah ! mais si ! Et après ça, il faut chanter, faire des sourires.

Penser qu'en trois mois et demi de Japon, on n'a pas pu faire une seule répétition ! Ah ! parlons-en de la sérénité japonaise, du mystère des jardins clos, des aubes vaporeuses sur collines apprivoisées, des sources qui susurrent et des "suchis" qui se glissent sans bruit, on a jamais été aussi excités ! vidés... Vive les cocotiers !


Lundi matin : " Nous n'avons pas encore reçu la permission de la banque du Japon pour vous payer, I'm sorry !"

Fuji le manager, fait le gros dos, glisse un sourire : Inouï. L'Hilton, direction américaine, n'est pas en mesure de nous payer, il faut que les dollars sortent de la banque du Japon et seul le gouvernement japonais a la possibilité de faire sortir ces dollars, tout est contrôlé, épluché, japoniaisé..

Francine exulte : Mais on part demain et ce chèque, il faut qu'on le mette à la banque ; vous vous rendez compte une veille de départ..."  -Tomorrow, Ill'you pay cash' Ah ! You must go to day at the imigation with Mr Morita... (il faut que vous alliez aujourd'hui à l'immigration M. Morita va vous accompagner...) "A l'immigration, aujourd'hui ? C'est impossible, on a donné nos passeports pour la déclaration en douane des instruments. -Hachta! mornig...- Demain ? la banque, l'immigration à Shinagawa... Shinagawa c'est très loin et ça n'ouvre qu'à 9 h et on décolle à midi... Fuji est vraiment surpris de nos connaissances !

Ah ça, ça dépasse la dose ! On sort du bureau pour éclater dehors... l'immigration... ils se réveillent et si on n'y va pas, on ne pourra pas franchir l'entrée de l'aéroport..Pour la finale, ils ont mis le paquet !


Francine s'interroge...


" Mais tu ne m'avais jamais parlé de tes emmerdes quand tu étais seul à Tokyo, tu es pourtant resté huit mois... - Bien sûr, je suis rentré en touriste, j'ai obtenu trois mois de visa comme tous les touristes français, les allemands avaient six mois à l'époque : des gâtés ! Puis, j'ai renouvelé une fois deux mois et une seconde fois deux mois, c'est tout.

- Et pour le boulot ? - Aucun problème, j'étais payé de la main à la main chaque semaine, comme le pianiste Pierre qu'on a rencontré il y a 15 jours.


Jour de départ.

29 juin 71. Nous avons rendez-vous avec Morita : personne. On se trouve tout cons d'être tombés du lit si tôt. Huit heures. Pour nous ça correspond à 3 h du matin ; aussi, gagnés par une grande lassitude des nerfs, on attend, silencieux.

La secrétaire de Fuji qui commence à 7 h est déjà au travail : " Est-ce que M. Fuji est là, c'est pour la paie...- Pas avant 9 h - Mais à 9 h on sera à l'immigration... - De toute façon, il n'a fait la demande à la banque du Japon que samedi et cela prend une semaine, au moins..."

On reste mous et flasques devant l'évidence. Fuji s'est foutu de notre gueule, l'envie de lui casser la gueule me prend. Oh ! que ça me ferait du bien, mais non, on aurait les pires emmerdes... demain qu'il disait...

Je commence à détester les japonais, enfin, ceux qui font des affaires... Au lieu de nous dire la vérité... non, une succession de mensonges pour éviter l'adversaire...

Heureusement qu'on a réussi à coincer hier soir le général manager qui, lui, est Suisse. On lui a raconté, affolés, nos démêlés avec Fuji pour se faire payer : " Ne vous inquiétez pas vous serez payés, j'en réponds. Fuji est très malin, il trouvera bien un moyen pour faire sortir les dollars de la banque du Japon, on emploiera un stratagème..."

On demande en baillant : "Et Morita ?, il est 9 h un quart, qu'est-ce qu'il fait ?"

Coups de téléphones interminables et obscurs ponctués de : "Haï vakarimachta" (oui j'ai compris)  "Haï vakarimasen" (oui, j'ai pas compris !!). Après cela, allez vous faire comprendre d'un japonais quand ils ne semblent pas se comprendre pas entre eux...

Bref, il faut attendre. 9 h, Morita, tombé du lit, lui aussi, débarque sans un mot d'excuse. Il plane... !


A l'immigration.

En attente sur les bancs de bois, on assiste avec une grande satisfaction à une quasi-crise d'hystérie d'une jeune américaine fougueuse qui se heurte pour la première fois à la machine administrative : elle est comique comme on l'a été ces trois derniers mois.

On doit être à l'aéroport à 11 h. A 10h 30, on obtient enfin notre extension de visa de deux mois mais qui n'est plus valable que quinze jours puisqu'on aurait dû l'avoir un mois et demi auparavant ! Le fonctionnaire aimable nous souhaite un bon séjour au Japon, apparemment, il n'a rien vu du côté grotesque de la situation...

"Ah, c'est trop tard parce que nous, on s'en va...- Quand partez vous ? - Mais tout à l'heure monsieur ! - Ah sodeskanée... Il a eu un sourire touchant pour nous souhaiter en Français : "Bon voyage".


Prochaine étape, les cocotiers...:

L'île de Guam

 

 

 

 

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