Paris : Marché des musiciens

 Suite au décès de mon père.

Retour en France

 

25 février 66 : Marseille, quai de la Joliette. Ma mère tout en noir, m'attendait sur le quai … Le choc fut brutal, je réalisais combien la vie à bord m'avait anesthésié, coupé du monde réel, comme une tranche de vie à part, bienveillante, où tout est simple, où tout se vit au présent.

Ma mère attendait son seul fils… Moi, je faisais plutôt la gueule en rentrant en France : "Tu ne me dis rien…" Que pouvais-je lui raconter pour éponger son chagrin… Après joies et sanglots des retrouvailles, je me souviens de ma première réflexion, complètement déplacée, sur la Cannebière : "Ah c'que les filles sont moches en France ! "

Au regard de ma mère, j'ai senti, aussitôt la démesure et l'incompréhension de mon propos. Ayant vécu en Asie du Sud-est et au Japon pendant deux ans... où toutes les femmes vous sourient, où les groupes de collégiennes en uniforme éclatent de rire en vous voyant passer : c'était une réflexion complètement déplacée !


A Malakoff, la réadaptation.

Le pavillon en brique de mon enfance ne m'a jamais paru si minuscule. Sans téléphone (il fallait être prioritaire ou attendre au moins six mois pour obtenir une ligne! ). Reprendre contact avec les musicos fut pourtant ma première tâche…

Habitué à H-K où l'on pouvait appeler gratuitement, de n'importe où, j'en étais réduit à attendre qu'une cabine soit libre dans le bistro du coin ! D'autre part, je guettais tous les jours, par courrier, l'arrivée de ma caisse de Hong-Kong : contenant : press-book, magnéto AKAI et bandes magnétiques, et surtout, ma Jazz-Bass Fender et son ampli que j'utilisais depuis un certain temps chez Sandro à l'Hôtel-Hilton.

A Hong--Kong cette  caisse de près de 1m3 avait été enregistrée et programmée pour prendre le même bateau que le mien. Très peu utilisée en jazz, j'avais hâte de me faire connaitre sur cette basse électrique Fender. A ma connaissance, seul le super musico Ricardo Galéazzi en utilisait une quand il accompagnait le guitariste Hongrois Alec Bacsik qui passait en attraction à " La Belle Epoque" (l'ancien vieux-Co, voir "jazz à Paris".).


Chez Francis Weisz :

Francis habitait tout près de la Porte Didot à deux pas de Malakoff. Avant mon départ, on s'était retrouvé à jouer plusieurs fois dans des concerts pédagogiques AMF sous la direction de Raymond Fonsèque. Excellent clarinettiste dans le style "Benny Goodman", Francis était également pointu dans les bricolages d'amplificateurs (à lampes !).

On était devenu super copains, il passait son temps à ronchonner sur tout ordre établi ! Il en voulait aux curés, aux rabbins (on ne parlait pas d'imams à cette époque) : "Ils me font chier, de quel droit veulent-ils nous apprendre à vivre ?" Puis avec malice : "On me dit anar… moi, je suis pour une totale liberté… plus c'est l'bordel et mieux j'me porte, la démerde c'est mon truc…! " Puis, il avait rajouté : ..."la seule chose qui peut  me faire réagir et pousser à m'engager… c'est quand on touche au cheveu d'un juif dans le monde…"

Là, sa voix se transformait, devenait plus grave… Comme beaucoup de musicos d'origine juive, je pense au saxo ténor Bernard Poulain (Bernard Polack), plus tard, au violoniste Léo Slab, tous avaient perdu une partie des leurs pendant la guerre… Francis me donnait le frisson quand il jouait le blues sur sa clarinette, un passé pareil, ça laisse des traces...

Me sachant sans boulot : "Demain mardi, viens avec moi à Pigalle." - ??  " Tu n'connais pas le marché des musiciens ?, c'est deux fois par semaine" . Je croyais à une blague!  " Les studios sont en grève depuis janvier, alors on n'a pas l'choix, faut bosser, et puis, tu vas te faire réinscrire rue Taitbout… pour ta sécu !  - Mais j'ai pas pointé depuis plus de deux ans !  -T'inquiète pas, t'amènes tous les contrats que t'as eu en Asie, l'Hilton et compagnie… pour montrer que tu as toujours travaillé comme musicien… Ils vont te donner une carte et toutes les semaines, tu iras pointer en leur signalant les jours où tu as travaillé… ça n'a pas changé !


Au marché des musiciens.

Place Pigalle, une centaine de mecs bavardaient debout par petits groupes, d'autres se répartissaient dans deux brasseries, je ne connaissais personne… Francis me présente : " Lucien Blot est guitariste, bassiste et chanteur et joue des petites percussions en typique! " .

Ma spécialité de jazzman était passée sous silence, sans doute qu'ici, ça n'intéressait personne… " Tu sais lire ? - je déchiffrais un peu avec la contrebasse. J'ai été bassiste chez Hélian pendant un an".

Au nom de Jacques Hélian, la conversation s'anima : " Alors t'as connu Popie, l'alto Jean Aldegon ? j'étais avec lui chez Henri Rossotti… et plus tard chez Aimé Barelli à Monte Carlo… Ah c'était la grande époque !! " Un ange passe… " Et quel répertoire tu chantes ? " Là, mon répertoire Charles Trenet/Yves Montant pour le Japon et Jean Sablon pour Hong-Kong les ont bien fait rigoler ! Finalement Francis m'a présenté à un accordéoniste : Jacques Dauvil (le frère de Robert Trabucco) et je suis entré dans son orchestre.

Jacques Dauvil était un excellent accordéoniste, je ne me souviens plus si je l'accompagnais à la basse ou à la guitare mais je lui demandais souvent de jouer des vrais valses musettes… Il connaissait tous les petits chef-d'oeuvres de Gus Viseur, de Tony Murena que l'on écoutait mon père et moi le samedi matin, à la TSF, au "Concert des auditeurs"

Il les jouait toutes mais les pistes de danses des villages ne se remplissaient que sur des rengaines insipides… avec des paroles bidons… J'ai toutefois gardé un bon souvenir de cet orchestre qui se produisait une fois ou deux par semaine dans toute la France profonde.

J'avais une complicité musicale avec Francis Weisz au milieu d'une bande de joyeux lurons. Une seule chose m'a poussé à quitter cet orchestre : les déplacements. Pour des raisons économiques, on était cinq dans une seule voiture, tous fumaient (du tabac) sauf moi : un calvaire !

Dans le Massif Central en mars, il fait frisquet ! Aussi, il fallait rouler toutes vitres fermées. J'avais donc trouvé une solution… je respirais de l'air extérieur par un tuyau coincé dans le haut d'une des portières arrières, la fente occasionnée bouchée par du journal ! Pendant des heures : une vraie galère ! Puis les galas prévus pour avril se révélaient moins nombreux… il fallait en trouver d'autres…


Chez Marc Taynor...

Au "Marché des Musiciens", un grand type sympathique s'est approché de moi : " J'ai entendu parler de toi par Francis. Chez Marc Taynor, on a besoin d'un guitariste rythmique, Francis m'a dit que tu ferais bien l'affaire… - Qui c'est Marc Taynor, de quoi il joue ? - Du violon, de la clarinette et du ténor. On fait de la musique folklorique américaine, de la musique de cow-boy si tu veux…" - Moi, j'aime bien la musique de cow-boy, mais, c'est souvent de la musique mexicaine… - Oui, mais tu parles des films qui se passent au Texas ou au Nouveau Mexique, la nôtre est plus proche du Cajun et de la musique Irlandaise, on fait des quadrilles par exemple…"

Bref, j'entrais dans un monde complètement nouveau. Il continue : " Tu sais, on a beaucoup de contrats, on a déjà fait plusieurs 45t… On a du travail prévu et signé un an à l'avance ! Chaque semaine, on part dans le camion de Marc, il l'a aménagé avec des couchettes. On fait 8 à 9 galas par mois, pour 1 week-end avec 2 galas, on est payé 500NF et les rares fois où il n'y en a qu'un, il donne 400F, sans compter les "intervilles" qui sont payés en plus" .

D'après Francis, c'était une des meilleures affaires en France. Et puis, j'avais besoin d'argent… L'idée de faire venir Mavis en France me trottait dans la tête depuis mon retour de Hong-Kong. Ce qui ne manquera pas de poser quelques problèmes avec Marc Taynor...


Le mal jaune.?.

Après quelques semaines, je découvrais une triste réalité : aucune fille en France ne m'attirait. Ma première femme " Zizi " me mettait sur des opportunités de femmes esseulées… j'avais l'impression de rendre service !

En Asie j'avais été comblé d'érotisme par Diana puis par Mavis. Mon retour en France était d'autant plus brutal… son sourire gourmand, sa bonne humeur, sa quête d'amour, son corps toujours prêt à s'enflammer me manquait terriblement. Je lui écrivais régulièrement des lettres avec mon anglais "Assimil sino-japoniaisé".


Des projets pour Mavis...

Chez ses parents à Hong-Kong, elle attendait ses 20 ans pour demander un titre de "transport" aux autorités britanniques. Les autorités devaient pouvoir la suivre à la trace dans tous les ports ayant des liens avec le commonwealth, ce qui lui permettaient d'aller d'une escale à l'autre.

Pour quitter Hong-Kong, il lui était demandé également l'adresse en France d'un tuteur responsable d'elle jusqu'à ses 21 ans ! Ce que je me suis empressé de lui faire parvenir…

Evidemment devenir son "tuteur" m'allait comme un gant !!  Comme il me fallait de l'argent pour payer son ticket de bateau; j'ai donc accepté l'offre d'entrer chez Marc Taynor.


Dans l'orchestre de Marc Taynor. ...

3 avril 66.  Marc Taynor, une force de la nature, grand imposant, costaud, tout droit sorti d'un film de John Wayne, des raisonnements à l'emporte pièce, menait son entreprise avec force… On avait intérêt à être de son avis…

Dès le premier voyage, au volant, à l'exception de Christian avec qui il partageait la conduite, il rudoyait ses musiciens, cherchait toujours l'embrouille avec particulièrement de l'animosité envers le batteur Pierre Salomé.

Certains de ses musiciens étaient là depuis plusieurs années… Comment pouvaient-ils subir tant d'humiliations…? Ses théories sur les races, me mettaient mal à l'aise…

Par contre, sur scène, il avait le souci du travail bien fait, les morceaux s'enchaînaient dans un l'ordre attendu des danseurs, conséquence : la piste était toujours pleine… Marc était un très bon violoniste qui savait faire swinguer les rigodons comme les violoneux du Québec… avec qui j'aurai l'occasion de jouer quelques années plus tard.

J'ai souvent été surpris de l'entendre exécuter de belles envolées lyriques à la Grappelly, aussi j'ai pensé, vu sa dégaine et ses réflexions de cow-boy qu'il n'avait jamais pu faire sa place dans les Clubs de jazz snobs du Quartier Latin

Il semblait pourtant avoir connu les bons jazzmen parisiens pour les avoir quelquefois côtoyés… De là, à excuser sa hargne envers les musiciens…

Heureusement, j'avais un bon contact avec Christian, sa guitare à 2 manches m'avait surpris ; l'un de guitare, l'autre de basse guitare. En cours de morceau, il changeait de manche ce qui donnait un relief particulier à ses interventions, il pouvait également faire sonner sa guitare comme un banjo… ce qui lui permettait de faire des chorus en picking !

A lui tout seul il faisait le travail de plusieurs musiciens ! Dans les parades, on jouait quelquefois sur des charrettes (ci-dessous), on devait quelquefois "faire la parade" (en acoustique) sur le toit du camion ! et toujours en tenue cow-boy ! Avril, mai, juin, juillet se déroulèrent sans trop de "bosses", j'étais relativement épargné par les sarcasmes du chef. C'est juste au départ de la tournée d'été, que tout se gâta…

Il était pour moi impensable de partir plus d'un mois dans le camion sans changer d'air entre chaque gala. Jacques Hélian, lui-même, ne se risquait plus à emmener ses musiciens pendant 40 jours dans un autocar de 55 places… "Chaleur et proximité… trop de risques de tension…" disait-il, d'où son choix de laisser chaque musicien se débrouiller avec ses 70 centimes de frais de transport au kilomètre.

Il se débarrassait ainsi du problème de trouver des hôtels aux convenances de chacun en laissant le choix aux musiciens de se répartir  dans leurs voitures.

J'avais donc d'abord demandé à Marc Taynor de suivre son camion avec la 2 cv dont je venais d'hériter de mon père… Refus total ! : "Pas question tu seras dans le camion comme tout le monde, je veux avoir tout l'orchestre avec moi…"  C'était sans appel.

D'autre part, Mavis s'approchait de Marseille, j'avais reçu une carte de Djibouti, son bateau accostait à la Joliette le 5 Août et je devais évidemment l'accueillir…

 

1 66 marc taynor et ses cow boys

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La tournée de Marc Taynor commençait le 4 Août par un gala à Estagel  dans les Pyrénées Orientales. Le lendemain était libre, mon plan était simple : Mavis serait ravie de profiter de la tournée pour visiter la France ! Quelques jours avant j'avais téléphoné à Marc : "Je suis déjà dans les Pyrénées, je serai au rendez-vous à Estagel, ne t'inquiète pas, j'y serai à 17h."  Je m'en suis longtemps voulu d'avoir laissé tomber les copains mais l'amour n'était-il pas le plus fort ?

A la fin de la saison, j'ai appris par Francis que Christian cherchait à me voir… c'était pour me remettre deux enveloppes avec de l'argent. L'une contenait mes deux derniers cachets en retard de paiement ! (Marc avait l'habitude d'en retenir deux, au cas ou…) et puis, la tournée terminée, sans remplaçant, (impossible d'en trouver un en pleine saison !), mes cachets furent mis de côté et partagés entre chacun des musiciens. La seconde enveloppe contenait la part de Christian… (Si tu lis ces lignes, fais moi signe)


 

Mavis débarque...

5 août 66 : Sur le quai de la Joliette, ma dodoche est pleine de paquets, dont un baluchon volumineux, sans forme, je lui demande : " Qu'est-ce que c'est ?  - Mais, c'est mes chaussures…  j'en ai 10 paires…

Sur la route de "La Garde Freinet", elle s'extasie, son français s'est amélioré : "Mais c'est très grand la France… on roule depuis 2 heures et demie et on n'est toujours pas sorti !! ".

C'est vrai qu'à Hong-Kong, au bout de 50 kms de route, on atteint la frontière chinoise. Bien souvent, elle sera également surprise par l'absence d'habitation... de faire 10 kms ou plus dans la campagne française ou en forêt sans voir des maisons… " Tu t'rends compte, ici, s'il y avait  des chinois, ils feraient des centaines de cochons, des milliers de canards…" De là, à dire qu'on était des fainéants… !


Tanaka est à Paris ...

Octobre 66. Mais c'est Tanaka ! Qu'est-ce que tu fais à Malakoff ? Je suis venu chanter en France, pour mieux la connaître…

Ce fameux chanteur japonais qui m'avait pris sous son aile quand je suis arrivé à Tokyo en 64, celui qui vivait dans une chambre dont les cloisons étaient couvertes de bandes magnétiques… de plusieurs répertoires de chanteurs français... Tanaka qui classait leurs chansons par années… ce fameux chanteur japonais dont j'avais tellement parlé dans mes lettres, ma mère le connaissaient presque !

A la maison, après plusieurs soirées steak frites dont il raffolait, j'ai vite compris qu'il attendait beaucoup plus qu'une ou plusieurs bonnes soirées passées ensemble, il attendait que je le fasse connaître pour chanter dans des orchestres français !

Bien embarrassé, j'en ai aussitôt parlé à Francis : Tu peux toujours l'amener à Pigalle… Au marché des musiciens on l'a présenté à plusieurs groupes, Tanaka n'éveillait que de la curiosité : comment un japonais pouvait-il être célèbre à Tokyo en chantant des chansons françaises ?

En toute logique, il lui semblait que l'inverse devait être réalisable : pour quelle raison un chanteur japonais (et parlant parfaitement français) ne ferait-il pas carrière à Paris en chantant des chansons japonaises ?

Pauvre Tanaka, après avoir fait quelques défilés comme mannequin chez "Thierry", il a dû vendre son appareil photo pour se payer un ticket de retour pour son pays, complètement déçu…

Chanteur tanaka

Tanaka et son tour de chant chez "Therry".


Dans mon ancien logement 10 Place d'Aligre, chez ma femme et mon fils, on faisait quelque fois des fêtes. Stéphane Guérault (cl) était souvent des nôtres, une minuscule chambre sur le palier lui permettait d'abriter ses amours !

Nino Ferrari (qui deviendra plus tard Nino Ferrer), son copain banjo du début des "Dixie Cats lui rendait souvent visite.

L'excellent sax et chanteur ! Michet Huet  ainsi que mon vieux pote barman et danseur du Tabou : Maurice Maillet et ses nombreuses danseuses… Momo et moi avions branché Tanaka sur nos copines… Elles le trouvaient drôlement mignon !

A son départ à Orly, le voyant déçu de ses quelques mois passés en France, je lui ai demandé : "Alors les filles françaises, au moins : c'était bien ? -Ah non, je n'ai pas su m'y prendre pour les rendez-vous... C'est compliqué les françaises ! "


 

Timide retour dans le milieu jazz…

Petit à petit, je recommence à travailler, on me demande à la basse Fender pour des remplacements.

au Slow-Club Marc Laferrière est toujours là, j'amène ma "Fender", ça surprend ! mais, en réglant le mixage des 2 micros, je peux imiter le tuba pour certains morceaux traditionnels !

Je découvre de nouveaux musiciens, venus d'Algérie : le pianiste  Philippe Baudoin avec qui je vais me lier d'amitié ainsi qu'avec le talentueux Dominique Sanchez (sax soprano) .

Quelques remplacements à la Huchette  chez MAXIME SAURY toujours à la basse. Quant à ma nouvelle guitare, je n'osais plus trop la sortir…

Juste avant de quitter Hong-Kong, j'avais vendu ma guitare "Höfner" et commandé une "Gibson" à caisse type Barney Kessel (mon idole). Ce modèle n'étant pas disponible en magasin, Mavis fut chargée de me la ramener dans ses bagages en bateau…

Ravie de m'ouvrir la boîte : "Je t'ai pris la plus belle mon lamour…" En effet, elle m'avait pris " la plus belle" une "Trini Lopez" rose fluo !  Un musicien clarinettiste (Itier…) avait le filon des mariages juifs, je devais venir à chaque fois avec ma "belle guitare rose...!!


Le "Gilles Club"...

Janvier 67. Le batteur Gilles Nicolas avec lequel j'avais fait équipe derrière Bill Coleman à Crans sur Sierre et son copain banjo Jean-Claude Weil venaient d'ouvrir pour les week-ends, une cave en dehors du quartier latin, rue Bretonnière : le "Gilles Club".

Je rejoignais petit à petit la vieille famille des jazzmen. En attraction, on accompagnait un virtuose des claquettes : Jimmy Slide. Pour terminer son show, Gilles lui lançait des baguettes et tout en dansant, Jimmy et Gilles se partageaient les tambours… Les mains, les pieds, la danse, tout contribuait au swing : la grande classe ce Jimmy !


La basse Fender... 

L'utilisation de ma "Fender" en Jazz intriguait beaucoup les musiciens. Familier de la guitare, j'utilisais 4 doigts de la main gauche au lieu de 3 pour la contrebasse (le majeur et l'annulaire doivent rester collés m'avait enseigné Mr Cazauran, mon prof au Concervatoire de Versailles et soliste à L'Opéra de Paris.

Cette technique  propre à la guitare me permettait de chanter en scat un ou 2 octaves à l'unisson au dessus de mes chorus de basse !


Un certain Manu...

Sans doute à la recherche d'un son nouveau, un grand black à forte personnalité, arrivant de Bruxelles  avec son ténor me proposa de jouer en trio au "Tournoi",  rue d'Athènes dans le 9e. Il adorait jouer des blues en style funky. Pour nous, c'était Manu ! En fait, on à joué épisodiquement au "Tournoi". Beaucoup plus tard, Manu Dibongo fera partie de la section de saxs du big band de Nino Ferrari devenu entre temps Nino Ferrer.


Jean Nubel m'appelle

(Ce chef d'orchestre était venu avec ses musiciens, 3 ans plus tôt , à mon  départ sur le "Laos" à Marseille ) " Est-ce que tu peux remplacer le guitariste  de Bob Azzam à Genève ?. Une dizaine de jours, c'est bien payé… je t'ai recommandé, téléphone lui… "


  Un remplacement à Genève...

Le lendemain Mavis et moi partions en dodoche pour Genève. J'allais remplacer sans le savoir un fameux guitariste de rock anglais : Erik Burdon (?)

Le premier soir, il était encore là pour me montrer les passages des morceaux où j'aurai à intervenir. Lors d'un standard de Franck Sinatra, surprise… il chorussait comme un fou dans le style de Barney Kessel… Quel bœuf on a fait ! Quant au répertoire "Cha Cha" de Bob Azzam, il me correspondait mieux que celui des Rolling Stone !


Serge Réggiani...

Fin février 67 : Francis Weiss m'appelle : "Tu connais le pianiste Gérard Jouannest ? - Non… - Il a besoin d'un remplaçant guitariste pour une petite tournée avec Réggiani, j'ai pensé à toi… - Réggiani, le comédien ? - Oui, il parait qu'il chante… - Mais, il doit y avoir des interventions écrites… -Tu te démerderas… t'inventeras…"

La tournée était courte, il s'agissait d'animer la campagne électorale de plusieurs candidats députés de gauche dans 4 villes : Nîmes, Montpellier, Grenoble et Quimper et des passages dans des Universités…

A Grenoble Reggiani faisait la 1ière partie et Jacques Brel la seconde partie

Je retrouve le batteur Philippe Combelle avec qui j'avais quelquefois bœufé au Caméléon. La salle était pleine à craquer. La dernière chanson de Serge : "Les loups" terminée, je ne voulais pas manquer Brel…

Restait une place de libre au milieu du premier rang… Pierre Mendes-France m'ayant vu sur la scène me fit signe que le fauteuil était libre… Pendant tout son spectacle, le Grand Jacques, juste au dessus de nous, transpirant de talent, nous a arrosé de grosses gouttes de sueur mais quel phénomène ! Et quelle simplicité ce Mendès-France !

A Montpellier, la seconde partie était assurée par Anne Sylvestre. A chaque concert, dans les coulisses Serge avait un mal de dos qui le tordait de douleur et un trac fou, peut-être dû au fait qu'il n'avait pas son guitariste habituel…

N'étant pas musicien, le moindre repère "physique" changé et c'était la panique pour redémarrer un couplet sur la bonne hauteur de note ou sur l'exacte place de son démarrage au sein de la mesure… (les fameuses fautes de mesures…)

Depuis longtemps, j'avais remarqué que les comédiens qui s'essayaient à la chansonnette prenaient des libertés avec le tempo et la rigueur rythmique.

Claude Gousset qui accompagnait Yves Montant m'avait déjà parlé de ce genre de difficultés chez le grand acteur.

Claude Gousset raconte : "Après l'intro, au départ d'une chanson, j'avais pris l'habitude de placer ma coulisse de trombone en employant toujours la même position. Un jour distrait, j'ai du jouer la même note d'une autre façon et Yves a déraillé ! A la fin du concert, il s'est foutu dans une colère noire ! "

Des concerts dans des universités étaient prévus également. Un forum suivait son tour de chant. Les étudiants posaient toutes sortes de questions, 68 n'était pas loin… questions parfois vachardes mais Serge n'écoutait que son cœur débordant d'humanisme.

Dans les restaurants avec Reggiani, on rapprochait les tables, il nous traitait en copain, nous tutoyait. Très vite, ayant Mavis en face de lui, il engagea la conversation sur un séjour qu'il avait passé à Tahiti et dont le mode de vie l'avait un peu chamboulé…

La domination des chinois sur tout ce qui touche au commerce lui était restée sur le cœur … Mavis, sans se départir de son sourire gourmand : "Les chinois, c'est malin ! "

Anne Sylvestre se sentant exclue du tour que prenait la conversation se montrait distante avec nous et nous faisait franchement la gueule !

Serge raconte : " La jalousie me semblait absente à Tahiti "... "J'avais fait la connaissance d'une superbe tahitienne, je lui pose un rendez-vous pour le lendemain dans un restaurant. A l'heure dite, personne… j'attends 2 heures et je rentre me coucher. Le lendemain, je la retrouve par hasard sur la plage… Alors et notre rendez-vous d'hier ?" 

Il  imite l'accent d'une femme tahitienne en roulant les R… : "Ah!  ben non !, j'étais avec Rroger" ! Sans excuses et sans commentaire !. Le lendemain dans la dodoche, Mavis me livre ses impressions : " Reggianni, il est tout ridé, il est tout vieux mais il est encore beau… hein ? Mavis faisait des progrès en français mais, j'étais encore plus heureux... qu'elle puisse le trouver beau...


Une visite surprise…

Au printemps 1967, Un dimanche matin à Malakoff… Ma mère taillait ses rosiers, Mavis assise sur le perron du pavillon potassait son livre de l'Alliance française.

La porte donnant sur le couloir de l'immeuble claque dans la minuscule cour de mon enfance et Diana apparaît ! Comment a-t-elle pu retrouver mon adresse en France ? Diana dévisage Mavis, cette jeune fille épanouie de 7 ou 8 ans sa cadette…

S'ensuit une conversation acerbe en cantonais… Puis se tournant vers moi, reprenant son calme, Diana en excellent français : " Je voulais savoir si tout allait bien pour toi… Pour moi et mon fils, à Paris, c'est difficile, la vie est chère… mais ça peu aller…"

La conversation en cantonais à repris et Diana s'en est allée, j'avais le souffle coupé… Mal dans ma peau, c'est peu dire… Ma mère à l'écart : "Encore une chinoise…" Cet épisode de ma vie, en 65, m'interroge toujours, j'avais tellement été fou amoureux de Diana... puis, elle avait brutalemnt disparu... Qu'aurais-je dû, qu'aurais-je pu faire ?

Revoir la page "Vie à Hong-Kong"  en 1965


Au "Don Camilo"...

"Coolie" Wermelinger, contrebassiste, copain depuis la fin des années 50, à l'époque du Tabou ! me demande de le remplacer au "Don Camilo", cabaret de style Rive gauche, où il est resté 8 ans…

Coolie doit remplacer le bassiste de Charles Trenet le temps d'un retour du Grand Charles au Théâtre de la Ville. Au Don Camillo, avant l'entrée et entre chaque passage d'artistes mon rôle est d'accompagner le pianiste Henri Morgan.

Tout de suite, il entre dans le vif du sujet : Il paraît que tu as travaillé à Hong-Kong ? Rapidement, nous nous découvrons des amis communs d'Hong-Kong notamment la famille Duchemin… Henri avait laissé une partie de sa vie là-bas, me parlait des endroits où l'on pouvait fumer l'opium. Il semblait en connaitre un rayon !

En pleine discussion, loin de ce qui se passait sur scène, il nous arrivait de nous faire rappeler à l'ordre !! A cette époque le plateau comprenait : le grand timide Pierre Rambal, la comédienne Geneviève page, le chansonnier Richard Marsan, le dessinateur Dadzu que j'avais déjà connu en 1963 à "La Belle Epoque", anciennement "Vieux Colombier". Plein de talent et de drôlerie : Ricet-Barriet passait en finale.

9 67 la ruelle pontaubert

A cette époque, il y avait encore du boulot dans ma maison à Pontaubert près d'Avallon...

 

Suite dans la page :

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