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Projet d'un "duo" avec le bassiste du Slow

(Texte et version de Francine.)

 

La rencontre :

Tout a commencé au Slow-Club sur un air de jazz : "I found a new baby", dans la fumée et les rires. Tous les clichés galvaudés de la midinette y étaient et pourtant, rien de prémédité. On crève  dans c'te cave, de chaud, de fatigue, d'asphyxie, de "Vise un peu ce p'tit cul  que j'te l'emballe" !

Y'a que les chefs, les anciens élèves d'Alex aux beaux jours du "Kentuky", ceux qui dansent sans compter, en ligne et sans foutre la merde, y'a qu'eux pour se ménager un brin de piste.

Quelques touristes, en toute innocence font leur entrée : le ballet qui swingue vole en éclats. Pour occuper le terrain, les intrus déglinguent leur carcasse pantinabulante. Indignation des amateurs.


Au cours des évènements de 68, le Slow-Club était plein tous les soirs...     

Le bassiste m'invite à danser. Merde j'ai une touche ! "Vous savez que vous êtes assise dans la mangeoire ? Oui, c'est  le banc qu'est là, juste devant l'orchestre, tous les soirs, il est plein de nénettes, y'a plus qu'à  choisir. "Ah!..." " Ce soir, j'ai de la chance, j'ai un bœuf... - Un bœuf ?... - Mulot, ce soir, ne joue pas à " La Huchette", il me remplace.

Vous venez souvent au "Slow"? - Non… C'est chouette votre orchestre, et le petit marrant qui joue de la clarinette, qui sait ?- De la clarinette?... c'est du soprano.! - Oui, enfin... Il a l'air sympa

- C'est le chef d'orchestre : Marc... C'est un type très régulier, y'a jamais d'histoires. Vous aimez le vieux style ? - Vous devez la poser souvent cette question. Alors je suppose qu'il faut répondre : "Oui pour danser c'est mieux que le moderne"…

- Et qu'est-ce que vous aimez comme musique ?... - La question ! Des tas de trucs, disons la musique sud-américaine, des chansons comme "L'épervier"… Avec la musique, c'est pas très facile, je me lance...

- Oh! mais c'est super et en mesure s'il vous plaît, ça alors ! .. ça y est les copains, j'ai trouvé l'oiseau  rare ! - Quoi ? - Six mois que je cherche.. j'ai essayé de mettre des annonces... Vous jouez de la guitare ? - De la guitare classique.

-Terrible ! vous n'avez pas envie de voyager ?... - Ah si alors ! Comment avez-vous deviné ? - Six mois que je cherche une fille, six mois que je drague tous les soirs, y'a toujours quelque chose qui cloche, c'est pas facile de trouver la bonne compagne... - C'est comment une bonne compagne ?

- Oh ! ben... Il faut qu'elle soit jolie, douée pour la musique, qu'elle n'ait pas peur de dormir par terre, qu'elle  fasse bien la cuisine, bien l'amour, qu'elle aime la bricole et qu'elle soit pas trop emmerdante…

- C'est tout ? Ben vous êtes gonflé ! Et le voyage, ça serait où...? -Au Brésil... J'ai déjà fait l'Asie, et puis pour un musicien…

-Moi je rêve d'aller au Mexique... - C'est sur le chemin, alors c'est d'accord - Pourquoi pas ?

10 68 sur les quais

On cherche un nom. (page 50) :  "Francine et Lulu ? Pas terrible et puis je te signale que "Lulu" est une chanteuse de rock anglaise, tu sais, celle qui chante pieds nus, ça peut coincer ! -Moi, j'aurais bien voulu m'appeler "Philippe"...

- Alors pourquoi pas "Francine et Philou"...? - Oui, c'est pas mal ! "


Deux allers New-York...

Trois heures , place de l'Opéra. "C'est à vous la voiture qui est stationnée sur le passage clouté ? " - Non, mais c'est pareil, vous pouvez me filer la contravention. "- Certainement pas, j'attends, je vais lui dire deux mots moi ! "- Comme vous voulez...

Philou arrive en gesticulant, danse la gigue au milieu des embouteillages. Il me fait de grands signes en brandissant les billets de bateau : "Deux allers : Le Havre-New York, on les a ! 

C'est lui  "- Ah, c'est à vous cette 2 CV cabossée, des voitures comme ça, on devrait les foutre à la ferraille. - Mais ! je l'aime moi ma 2 CV, vous comprenez, comme ça elle ne risque rien... - Vous vous foutez du monde ? On en a dressé d'autres, des gens comme vous et puis vous feriez pas mal d'aller chez le coiffeur ! Vos papiers ! ".

Je le regarde avec délectation, il est parfait, mais celui-là, c'est pas pareil, c'est le dernier qui va nous faire chier. On l'encourage, tout sourire, tout indulgence. "Merci m'sieur l'agent ! ".

La 2 CV pétarade joyeusement, démarre avec des bonds de puce insolente. " Tu les sors ? - D'accord ! Dans la boîte à gants, y'en a beaucoup de petits billets jaunes, ça va chercher loin... -Tu les comptes ? - J'ai la flemme, alors je peux ? ". Je pique une tête par le toit ouvert, je déchire minutieusement la collection de petits billets jaunes qui s'envolent avec l'allégresse délicate d'un vol de papillons. Que c'est beau Paris !

Le vent soulève mes cheveux, gonfle mon corsage entr'ouvert. La grisaille, la marée odorante s'échappe des voitures furieuses, agressives. Le chauffeur se crispe au volant, le rictus meurtrier, le flic lève son bâton, le sifflet entre ses dents serrées, prêt à vider ses poumons dans une décharge stridente, les piétons agglomérés sur le trottoir, l'œil rivé sur le feu rouge, agrippent leurs paquets, sacs, parapluies, frileusement contractés sur eux-mêmes, le garçon de café fait la grimace, trop ou trop peu de monde, si le client est généreux, si c'est un con de touriste, s'il est mesquin : un paumé, les cheveux longs : un sale étudiant, les cheveux courts : encore un de ceux qui... Que c'est beau Paris ! Aux terrasses l'indigène abandonne son visage au bilan de la journée.

Les mâchoires serrées, il broie ses contrariétés ou suit machinalement la démarche d'une silhouette de femme. Il se lèverait bien mais... Non, pas le temps, la femme, la voiture à aller chercher au garage, et tout et tout...

Quant à la silhouette, elle s'éloigne en claquant de ses jambes nerveuses ses petits talons sur le bitume gris, l'oeil cerné, le pli amer, elle rumine… le patron despote, le souper à préparer, cette robe tentante qu'elle ne peut pas s'offrir, les vacances qui n'arrivent pas et tout et tout...Que c'est beau Paris !

1 clochard notre dame

On prospecte...

" Puis-je parler à la rédactrice de "Jardin des modes" ? - Vous avez un rendez-vous ? - Non. - Attendez un instant. La courtoisie élémentaire nous fait asseoir, on s'exprime. " Voyons les photos ? "

Philou est très fier de ses photos d'Hong-Kong. " Oui, des photos de touristes... Vous savez, j'en vois tous les jours des jeunes qui veulent écrire des articles de voyages. Et puis, nous venons de terminer une série sur le Mexique. Nos lecteurs veulent de l'insolite ".

Le directeur de "Bonjour Vacances" attend du concret. " Envoyez toujours, je verrai ce que je peux faire. Un conseil : ne critiquez jamais le pays, vos articles doivent ressembler à un guide touristique. Ouais...

On abandonne l'idée du "Chasseur Français". Et les autres ! Le bitume de Paris renie ses pavés qu'il cache comme un enfant qui a mal tourné. "Trois petits pavés" ... Ils n'ont dansé qu'un seul printemps.

Paris  ne nous connaît plus, comme les gens, les amis : partir, c'est donner tort à ceux qui restent. " Et ce voyage, c'est pour combien de temps ?"

On sait pas. Hypocrite : " Vous-m'enverrez-des-cartes-postales", c'est déjà à un absent, à un étranger, à une ombre qu'ils parlent... Et puis le : "Vous-en-avez-de-la-chance"… La chance ? On connaît pas.

- Moi je sais, vous fuyez, vous vous fuyez vous-même, et l'aventure, ça n'existe plus vous savez, vous jouez au grand déçu, à l'artiste méconnu, à l'amant blessé; mais qu'est-ce qu'elle vous a donc fait la France ? -

"Moi mon p'tit père, quand je suis partie de chez mes parents, ils ne m'avaient rien fait, il n'avait tout simplement pas compris que mon univers ne se limitait pas à eux."  Un jour, crac, on étouffe et on fout le camp.


  Le Havre   25 octobre 1968

 

- Ça doit être lui le Capitaine. On se présente.

- Alors, le départ, c'est pour quand ?

 - Sans doute demain soir. Vous savez, les départs des cargos sont fonction de leurs arrivées et comme nous avons pris un jour de retard, il faut le temps de charger le fret, mais, vous êtes chez vous à bord dès maintenant, cabine 3, on attend 4 autres passagers."

Un jeune type, cheveux sur les épaules, veste de l'armée américaine s'approche de nous, une musette pend à son épaule :  "Vous embarquez pour New York ?"  - Oui .  "Qu'est-ce que vous allez foutre à New York ? C'est pourri..."  Ben... on compte acheter une bagnole, une grande et descendre au Brésil...  "Vous passerez par le Mexique, j'habite Mexico, achetez-la encore plus grande et vous pourrez m'emmener..."

Tout le monde se marre. Raphaël, c'est son nom, nous aide à monter nos bagages : 150 kg, pas moins, plusieurs voyages sont nécessaires.

Mon pote Momo, le fameux danseur-barman du "Tabou" est là lui aussi, il a tenu à me voir partir, un gros baffle pour la basse, 2 valises , 2 am-plificateurs, les instruments, un magnéto et des conserves de musique... La cabine est immense, luxe vieillot, 2 lits, table, fauteuils et table de bridge, grande salle de bain.  Francine, demain, on répète, y'a une prise de courant, c'est du 110 V...  T'excite pas mon lapin, laisse moi quand même sortir ma brosse à dents. On remplit les armoires, un bain... 9 jours de traversée... pourvu que la mer soit clémente qu'on puisse travailler... Le cuistot est à terre, on flâne sur le port, on goûte nos dernières heures sereines, demain ce sera déjà l'aventure, le point de non-retour.


Et Raphaël ??

 Dis donc pour un Mexicain, tu parles vachement bien français !  "Oui, ma mère est française et mon père réfugié espagnol, profs tous les deux." 

- Et toi, qu'est-ce que tu foutais en France ?  "J'ai eu une bourse, une bourse offerte au premier de la classe, il ne me reste que 50 centimes ! j'ai passé 3 mois à Paris, je couchais sous le Pont Neuf ! Formidable !  Tiens ce troquet à l'air sympa, on t'invite.

suite p 52 en haut

 

 

 

Suite dans la page

"Le projet semble irréalisable"

 

 

 

 

 

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