En 72 : La vie à H-Kong, Tamy...

 

Philou : "musicien en jachère"

à Hong-Kong  

5 septembre 72.  Après notre complémentarité merveilleuse avec Francine qui permit notre belle aventure, ce bel outil de travail est cassé. Je vais devoir réapprendre à chanter avec ma guitare et non plus avec ma basse, abandonner mes secondes voix... et surtout, assurer thèmes et couplets... !

Mon expérience passée en Asie ne m'avait jamais laissé plus de 3 semaines sans boulot mais, à l'époque, j'étais tout feu tout flamme … Depuis, j'avais perdu des plumes…

Le "Back Room" où, 6 ans plus tôt... j'avais, pendant un mois accompagné le clarinettiste Tony Scot était depuis longtemps transformé en "Top less" plus rentable. Restait le "Trou Normand" où nous étions Francine et moi connus pour être invités chaque midi aux cafés croissants à la table du chef.

Pour me refaire une santé, j'envisage de retourner au Laos : terre d'accueil tant magnifié par mon pote, le dessinateur Zabo.


De retour dans les "Shung Kings" de Hong-Kong

   Là, j'ai retrouvé mes copains musiciens philippins toujours aussi chaleureux, eux comprenaient mon désarroi… Dans la rue, les restaurants, le duo était connu. Seul, je n'existais que pour répondre aux questions concernant les causes de notre séparation …

Au Laos, avant de se quitter Francine et moi, on avait partagé l'argent gagné dans les derniers hôtels, les Foujita hôtel, Tokyo Hilton et Péninsula. Francine acheta des "travellers" pour voyager. Quant au fourgon WW, acheté ensemble, mais resté à Pontaubert (89), je lui en restituais une partie… le reste à venir… Il ne me restait donc que peu d'argent disponible en attendant de dégotter un contrat...

Aussi, j'ai du prendre une toute petite chambre, la moins chère, sans fenêtre de 2 m sur 3 avec un lavabo. La salle de bain était commune dans le couloir !

Devant les shun king

En sortant des "Shung King" en face le "Hong-Kong Hyatt"


Les "paumés" du "Hyatt".

    Au breakfast, mes potes philippins me parlaient d'un lunch d'affaire à prix dérisoire dans le bar de ce grand hôtel. Ce self service ouvrait  à 11h30 am et fermait à 15h pm. Un modeste droit d'entrée dans l'enceinte me permettait de pouvoir consommer deux repas, l'un à l'ouverture et le second avant la fermeture…

A l'entrée, deux musiciens étaient déjà présents : l'un, pianiste virtuose, suisse français (Patrick Moraz m'a t-on dit...) jouait seul des valses de Chopin et des danses de Brahms, l'autre, un anglais filiforme semblait attendre son tour auprès de sa guitare électrique.

Sa valse de Chopin terminée le pianiste lui fit un signe. Réunis, ils se mirent à secouer furieusement les clients et le staff chinois du bar en jouant des rocks effrénés ! C'étaient, parait-il, deux membres du groupe des  "Yes" ... disloqué au Japon...! ?


Un coolie français...

Plus tard, toujours au Hyatt, je rencontre un jeune français bien sapé, chemise blanche et blaser … un livre sous le bras, il attendait comme moi l'ouverture du "buffet à volonté". Entre ces 2 repas séparés, on est devenu copain.

Alain Neplaz avait abandonné ses études de droit, sans doute avait-il besoin de se frotter à la "Condition humaine" avant d'avoir à juger les autres… Une idée à creuser non ? Pour sa "formation", il n'y avait pas été de main morte ! Depuis six mois, il travaillait comme coolie dans une usine chinoise  après avoir gagné sa vie en Nouvelle Zélande en tondant les pelouses !  L'expérience était plutôt rude… (Alain si tu lis ces lignes fais moi signe...)


Au Trou normand.

J'avais proposé à Bernard Vigneau le patron du fameux restaurant, de venir chanter une demi-heure par soir afin de me refaire et de rôder un répertoire de chant avec ma guitare.

(Avec Francine j'avais appris à chanter des secondes voix en m'accompagnant à la basse), il me fallait réapprendre tout mon répertoire "Cellar Bar de Hong-Kong" abandonné depuis 7 ans !

Bien qu'il n'eut pas besoin de chanteur, son restaurant ne désemplissait pas, Bernard accepta. Ce lieu temporaire devint un point de repère pour me faire connaître seul, sans Francine. Evidemment tous les soirs, j'avais droit au même questionnaire, insupportable : "Qu'est devenue Francine...…? ?

De 10 chansons le premier soir, je suis passé à 25 en trois semaines


Marc et sa tumba.

  Toujours dans les "Shung King " de Kowloon, Un grand black, la trentaine, vient d'arriver dans la chambre contigüe à la mienne, un sac dans une main, une conga dans l'autre. Il parle français sans accent  " Martiniquais ? " -

Non, Haïtien. J'ai ma niche à côté de la tienne, tu mors pas ? - Non pas encore... T'es musicos ? - Non , architecte ! enfin, j'étais... C'est un brésilien qui m'a dit que tu étais là, il m'a parlé de ton duo, il vous avait accompagnés pour une télé... - Ah ! C'est Joao !, j'y suis, toi aussi tu faisais partie du Show "Carnaval Brasil" qui a éclaté au Japon ! - M'en parle pas ! On a tous été virés, expulsés ! On en avait marre d'attendre la paie...

Les conditions du contrat n'étaient pas remplies.... Un soir, deux des 8 danseuses brésiliennes se sont mises à faire les putes pour acheter des cadeaux ! D'autres sont arrivées beurrées sur la scène avec des écriteaux revendicatifs... "We want our money" - Ouah ! j'ai l'expérience des impressarii japonais, z'ont pas du apprécier du tout, mais pas du tout ! "

A Kowloon, ce n'était pas la première fois que je rencontrais des "pointures", isolées, rescapées de corps de ballet, de shows, d'orchestres… mais c'étaient surtout les hommes qui espéraient un rebond de leurs activités musicales à Hong-Kong.

Philou amaigri

Marc "le Haïtien", c'est son nom, a une piaule de même surface que la mienne, mais il a moins de chance… ses pieds dépassent du lit et ses 2 bras écartés touchent les 2 murs !

Il a besoin de raconter… Il y a 11 ans, d'abord la fuite de son pays sur un radeau bricolé en direction des Etats Unis. Puis sa prise en charge par la communauté haïtienne qui lui permit de rejoindre la Suède à la suite de l'Appel de Stockholm… Enfin, les yeux pleins de larmes : son père mort sous la torture… Et lui, toujours à l'affut, la peur de tomber dans les filets des sinistres "Tonton-macoutes"

Marc est polyglotte, il a étudié l'anglais et l'espagnol au lycée de son pays, ensuite, l'allemand, le suédois et l'architecture pendant 5 ans à Hambourg et en Suède.

Je le sens très ému, je tente une diversion : " Mais qu'est-ce que tu fabriquais avec des danseuses brésiliennes au Japon…? - j'avais envie de connaître des japonaises ! A Stockholm, on m'a proposé de partir avec "Joao", je n'avais jamais joué avec un batteur pareil… j'ai dit "oui" tout de suite . Ainsi Marc s'est trouvé embarqué dans ce fameux "Show Carnaval Brasil" . Et, tout comme Joao, il s'est retrouvé à glandouiller à Hong-Kong.

A 11 heures, avec Marc, au breakfast matinal, en compagnie de musiciens philipins, on s'est mis à chanter en français, en espagnol des biguines et des calypsos Caraïbes en créole français...

Plus tard à Bangkok, Marc me surprendra dans des petits shows à sa façon lors de banquets et fêtes : il alignait 6 ou 8 coupes de champagne (en cristal c'est plus sonore), me demandait le "La" sur ma guitare et remplissait les coupes plus ou moins de façon à produire la gamme DO, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si, Do.

Cinq minutes lui suffisaient pour accorder ses coupes en buvant un peu de champagne si la note était trop haute ! Sous ses frappes de baguettes chinoises, les coupes entraient en résonance, il jouait et improvisait ainsi sur 3 ou 4 chansons dont Matilda (Harry Belafonte).

Sa situation précaire le rendait toujours inquiet. Il ne connaissait pas d'autres haïtiens à Hong-Kong, comment avoir des tuyaux sur la complaisance ou non de tel consul haïtien dans d'autres pays… Il pouvait être dénoncé… Quel était l'état des rapports diplomatiques entre les britanniques et Haïti ? Comment le savoir sans éveiller l'attention ?

Un jour que je lui parlai du détachement bouddhiste des Laotiens qui répètent souvent : "Bon peniang"  (rien n'a d'importance...) Puis, de la présence importante de l'UNICEF à Vientiane, ça a vite fait : tilt ! - Ok ! quand-est-ce qu'on part ?

1 73 marc ou le complexe des monkies 1( Marc, si tu lis ces lignes : fais moi signe...)


Question cœur, ça bourgeonne.

Pendant ces 3 mois passés en célibataire à Hong-Kong, j'ai appris pas mal de choses en aimant une ravissante jeunette de 20 ans qui me prit la main pour ses premières expériences amoureuses. Comme toutes les secrétaires import-export, Tamy parlait couramment anglais et plusieurs dialectes chinois. Elle m'avait toutefois mis le grappin dessus avec le questionnaire habituel…

Connaissant la notoriété du " fameux" Duo qui avait travaillé au "Péninsula", et me voyant chanter au "Trou Normand", elle devait sentir en moi une valeur sûre…

Tamy s'était mise en tête de refaire un duo de chansons françaises et chinoises pour gagner beaucoup d'argent disait-elle ! C'est vrai que sa voix haute perchée imitait très bien les chanteuses chinoises des restaurants !

Mais c'était sans compter les difficultés musicales qui me seraient tombées dessus : avec les 7 tons du dialecte cantonais chantés sur les 5 notes de leur gamme : j'étais pas sorti d'l'auberge pour en trouver les harmonies appropriées !!! 

Si Diana et Mavis, 7 ans auparavant, m'avaient habitué à vivre des amours torrides mais toujours cachées, à l'abri des subtilités de la civilisation chinoise, Tamy au contraire, me dévoilait tout sur l'oreiller, tout des pratiques, pas très reluisantes, sur la mentalité des jeunes lycéennes de Hong Kong… Je vais y revenir…

La fin de l'année 72 approchait. Elle semblait relativement libre par rapport à sa famille. Je lui avais proposé, avec Alain le coolie (voir plus haut) de faire le réveillon ensemble aussi, j'avais demandé à  Tamy d'amener  une de ses copines pour passer la soirée. Alain parlant parfaitement anglais, présentant bien, avec son physique à la Mastroianni, ça aurait dû faire tilt ! !

Ce réveillon à quatre, plus un autre Alain, (Archambault traducteur tri-langues) et mari de Michelle l'amie de Francine, a bien eu lieu mais le champagne n'y a rien fait, Tamy et sa copine se sont engueulées en cantonais toute la soirée et Tamy m'a fait la gueule pendant deux jours ! D'après Tamy, on n'avait pas respecté les règles en vigueur à Hong-Kong !

Tami a noel 01

(les "Alain's ", appellez-moi si vous vous reconnaissez…)


Les leçons de Tamy.

Trois jours plus tard, elle me manquait... Je l'invite au "Trou-Normand" : mutine, Tamy me lance : "Avec tes idées, j'ai perdu une amie... - Pourquoi ? explique moi..?. - Il faut que tu saches qu'au lycée, une hiérarchie existe entre les filles, chacune d'elle s'estime un prix suivant sa beauté ou son charme …  - ??? .

J'ai du mal à la suivre… son vocabulaire anglais est plus riche que le mien -Tu remarqueras : quand un homme invite une femme dans un bar ou à dîner dans un restaurant, les serveurs n'oublient jamais de montrer la note à l'invitée avant de la déposer devant le monsieur qui va payer… Lorsque le montant de l'estimation qu'elle s'est donnée est atteint, elle peut être fière en rentrant chez elle, elle ne s'est pas trompée, elle a vu juste !… Au prochain rendez-vous, elle montera la somme … Au lycée, on apprend cela très tôt…"

Elle continue : " Pour certaines filles : les " nomber one", le jeu est de se faire offrir un restaurant de plus en plus cher mais cela demande du temps, " Only for big fish" ! (seulement pour les gros poissons ! ) ...

La majorité des filles choisissent de se faire inviter dans un " lounge", puis dans un autre, le jeu est plus excitant car il faut trouver des prétextes pour s'en aller ailleurs… se faire inviter dans un autre… and so on !                

- Mais elles doivent être saoules à ce jeu là! - Non, elles se contentent juste tremper leurs lèvres dans chacun des cocktails…. Tu comprends, si elles n'ont pas atteint la valeur qu'elles se sont données, elles perdent la face" - Mais, c'est horrible ce système !

- Vous les français vous êtes naïfs ! Dont you know ? : " The wold is only business and money ! "

De la part d'une gamine de 20 ans, je n'ai jamais oublié cette phrase qui m'a laissé pantois… Le " gweilo" que j'étais n'en croyait pas ses oreilles…


Le "torchon brûle" chez Tamy.

Elle me raconte aussi ses histoires de famille: " Mes parents se sont battus ! Ma mère à un oeil tout noir !, mon père reproche à ma mère d'avoir mal gérer l'argent de la famille . - ??? - Chez les chinois, c'est la tradition... - Alors ta mère ne peux pas sortir de la maison ? - Oh! mais si, elle se promène partout dans les rues pour faire honte à son mari et lui faire perdre la face ..."

10 72 chut elle dormaitSept ans plus tôt, j'avait découvert ce ruisseau désert qui se jette à "Clear Water Bay", Mavis n'avait pas voulu me suivre par peur des esprits...


Un bannissement dans la famille...

Tamy m'avait également parlé de l'un de ses frères, qui avait été "banni" par le conseil de famille. Comme tous ceux qui n'acceptaient pas les traditions familiales, qui sont identiques dans tous les quartiers chinois du monde, il n'eut pas d'autre issue que de rejoindre le "quartier interdit" (Réputé dangereux pour les gwelos… (nous).

A l'époque ce ghetto se trouvait quelque part entre la Chine et la Colonie britannique … Il faut savoir que dans la famille traditionnelle chinoise les décisions ne sont pas prises par le père biologique mais par le plus âgé des oncles. Tamy était intarissable sur les mœurs de ses compatriotes de Hong-Kong.


Les fantômes…

Un dimanche, après 1/2 h de ferry, elle me fit visiter une île, où avaient vécu ses ancêtres. Au milieu d'un vaste "troupeau" de canards approchant l'hectare ! Elle s'est adressée à la "bergère"... Celle-ci me dévisageant, revint maussade avec une clé qu'elle donna à Tamy.

Sur la colline, on atteignit une vieille maison en pierres, délabrée aux volets chancelants. En entrant, il a fallu se frayer un passage entre des grappes de toiles d'araignées qui tombaient du toit ! La maison n'avait sans doute pas été habitée depuis une trentaine d'années...

J'ai longtemps observé un grand cadre accroché au mur. D'après Tamy, c'était une photo d'un groupe autour de Sun Yan Sen … Elle me montra son arrière grand père, en longue tunique... D'après ce que j'ai compris, après la longue marche de Mao Tse Toung, chassés de Chine en 1948, ils étaient venus se réfugier à Hong-Kong. Une envie m'a pris, l'envie de lui faire l'amour dans ce lieu insolite… fantasme ?... Paniquée, tremblante : " Oh non pas ici ! il y des fantômes, ils sont là, je les sens ! " 

10 72 tamy nue clair water bayMême pas peur des "esprits"  la Tamy !


 

Suite dans la page :

 

Une nouvelle vie au Laos en 73

... avec des nouvelles de Tamy  ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

           

 

 
 
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