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Marseille Yokohama par mer

Embarquement pour Yokohama

 

Marseille : quai de la Joliette.

7 avril 1964. Le "Laos", cargo mixte de 10.000 tonnes est là, mats de charge dressés, ses soutes, compartimentées, se remplissent de frets de toutes sortes. Les escales seront Port-Saïd, Djibouti, Bombay, Colombo (au Sri Lanka), Singapour, Saïgon et Hong-Kong.

L'arrivée à Yokohama est prévue pour le 5 mai.

A bord, j'ai la chance d'être dans une cabine de 4 personnes, 2 lits à 2 couchettes superposées.

Surprise : la cabine est déjà envahie par des baluchons, des sacs, en vrac… Ceux d'un vieux monsieur chinois. Parlant un français des plus rudimentaires, j'apprends qu'il a été cuisinier pendant 30 ans, rue Cujas à Paris et qu'il ne connaissait que sa minuscule rue Cujas.

Il retournait en chine pour y mourir, heureux d'y retrouver sa femme et ses enfants qu'il n'avait pas revus depuis les années 30. De Gaulle venait, enfin ! de reconnaître la Chine..!

L'autre passager était un allemand, dans la trentaine, une simple valise à la main, j'essaie de lui parler avec mes quelques notions d'anglais données par Jacky Bonnet-Dupeyron (futur bassiste des Tin-pan's). Hans m'apprend qu'il descendra à Saïgon.

Tout au long du voyage, nous ne serons que trois... La corne de brume invite les familles des passagers et de l'équipage à quitter le navire. Les bateaux partant au coucher du soleil, il y a effervescence à bord. Tout doucement, Marseille devient une carte postale qui rétrécit à vue d'œil. Enfin, les mats de charges se positionnent à l'horizontale.

C'est irrémédiable, je quitte la France avec mes instruments et sans ticket de retour mais avec la ferme intention de faire venir ma femme et mon fils quand je serai installé quelque part. Ma fortune s'élève à 700 Nouveaux Francs.

A Malakoff, mon père que je voyais pour la dernière fois, m'avait donné les 500F qu'il tenait dans son portefeuille en vue de se payer une perceuse électrique…!  - "Tiens t'en auras besoin en arrivant… j'aurais tant aimé naviguer sur la "Jeanne" autour du monde  ma mère m'en avait toujours empêché…"

Bouquet papa 1Un dessin de mon papa... retrouvé 55 ans plus tard !


A bord du "Laos" en classe économique.

 

a-bord-du-laos-1.jpg

Une guitare et des chansons françaises très appréciées des japonaises... Koni tchi va ?

1964 les poulbots d ayako

Keiko, elle, à trouvé un bon filon ! : elle peint des "poulbots" à Montmartre pour les revendre à Tokyo ! C'était sa deuxième ou troisième navette !  Elle me rassure en me disant qu'avec mes 700F convertis en Yens, (j'aurai 600 yens au change et à l'époque, le Yen était très proche du mark allemand). D'après Keiko je pourrai passer 1 mois au Japon en vivant comme un japonais dans une chambre de 4 tatamis. On verra plus loin que ses prévisions étaient justes.


Port-Saïd :

Escale les 11 et 12 avril : Le ronflement des turbines s'éteint, les 10.000 tonnes du Laos se laissent glisser vers le port, les mâts de charge sont déjà levés, prêts à travailler. Le lendemain, doit embarquer un grand nombre de pèlerins musulmans qui vont à la Mecque et vont descendre à Djibouti. 

3 64 canal de suez 2

On est dans le Canal de Suez. Les turbines du "Laos" tournent au ralenti. De temps en temps, il faut contourner la carcasse d'un cargo coulé en 1956. Aux heures de prières tous les pèllerins s'installent sur la plage avant avec tapis et théières. Ce qui fait râler les matelots Corses et Marseillais qui doivent repasser le jet à chaque fois !


Djibouti.

6 64 djibouti14 et 15 avril. Après le déjeuner à bord : visite de la ville . Passée la coupée, une chaleur sèche et écrasante de 45° nous tombe dessus. Après la douceur climatisée du bateau, le contraste est saisissant. Comment peut-on vivre dans une chaleur aussi étouffante. Dans les rues de la ville, l'ombre est au pied des murs où sont couchés, en long chapelet, hommes et chèvres. Plus tard, à Hong-Kong, des mauvaises langues me raconteront que les consuls français mais aussi anglais, envoyés respectivement à Djibouti et à Eden étaient mutés là, pour 2 ans, "mis au placard "!


Bombay.

Escale 18 et 19 avril. En descendant à terre, on ne sait où aller, la misère s'étale partout sur les trottoirs, dans les rues s'enchevêtrent voitures à bras, porte-faix, camions enveloppés d'un nuage de fumée et, pendant des kilomètres, une foule grouillante d'hommes aux yeux brillants, souriants comme s'ils étaient heureux…

4 vaches sacrees bombay

Roupie indienne a 50

4 que des mecsDans les rues, que des mecs ! On s'y sent mal à l'aise, le lendemain, on ne retournera pas à terre. Le cap plein sud, notre paquebot-mixte longe la côte ouest de l'Inde, le fameux Kerala en direction de l'île de Ceylan, à peine à 1000 km de l'équateur.


Colombo.

Le 21 et 22 Avril. 

19 64 colombo sur cale

" Tiens ! Le "Laos" ne va pas à quai…, on est sur bouée. "Venir à quai coûte très cher " m'explique un marin. A peine l'encre jetée, des barges se disputent les meilleures places autour de nous pour embarquer des marchandises. Je prends le "you-you" (navette) pour aller à terre. D'après les films et romans, à Ceylan, la jungle y est très épaisse avec des temples bouddhistes et des éléphants...! Je pars donc seul, avec une carte. D'après ses parties vertes, la jungle, devrait être à quelques kilomètres du port.

Je suis la route qui devient vite une piste poussiéreuse, les baraques en planches se font plus rares, les palmiers de plus en plus hauts. Des gamins de 10, 12 ans me suivent à une dizaine de mètres puis abandonnent. L'un d'eux, un peu plus âgé, s'approche, la "conversation" s'engage. "Have you any brothers, any sisters… puis : Where do you come from ?"  - I am french ... Il ne comprend pas, puis, je lui lance en essayant différentes prononciations : " Paris! "... Il ne comprend toujours pas, alors, à bout d'argument, je lui trace une Tour Eiffel sur le sable, et lui, tout rayonnant d'avoir compris crie : "Bli-gi-té bal-do". 

5 une famille a ceylanIl tiendra à me présenter à sa famille, une dizaine de frères et sœurs plus jeunes que lui. Ce "gamin" de 15 ou 16 ans était heureux et fier de me dire qu'il était le seul de sa famille à travailler… et moi qui voulait voir la jungle ! !.

Après 3 ou 4  tentatives de prononciation et 3 ou 4 km sans  rencontrer cette jungle, je lui dessine un éléphant sur le sable, enfin, il comprend...: il m'invite à le suivre... Le zoo était tout proche! 


Fredy, un aventurier moderne !

En classe économique, on embarque un suisse : Fredy. On l'entend de loin, il parle aux allemands puis aux anglais dans leur langue respective. Me voyant chanter avec ma guitare, il m'interpelle en français avec un accent épouvantable : "Parait qu't'vâs au Japon… j'habite là  d'puis deux années, J't'loge et avec ton guitare, t'ramènes des filles ! OK ?" . Il m'apprendra plus tard qu'il faisait plusieurs fois par an des voyages en Asie. De Colombo il ramenait des pierres précieuses, de Singapour des battes de base-ball américaines et de Hong-Kong des montres "Rollex. Le tout en quantité admise par la douane japonaise.. Il m'a tout de même mis au poignet une troisième Rollex : "Je te la prête jusqu'à Yokohama…"


Singapour

Escale le 24 et 25 avril :

6 singapour resto chinoisQuelle surprise ! j'en étais resté à Fred Astaire en marin américain dans l'une de ses Comédies Musicales. Les docks n'étaient plus en planches ! A la place, un "Sea terminal" extrêmement moderne, entouré d'immeubles de 20 à 25 étages. Singapour, une grande ville où les chinois côtoyaient les indiens et les malais, chacun ayant un type spécifique d'activité ; le commerce et les banques pour les chinois, l'administration pour les malais et le commerce des tissus pour les indiens.

Mais ce qui nous fascine le plus : ce sont les femmes. En comparaison avec les pays précédemment visités, elles sont partout, chacune dans leur costume et rivalisant de féminité…

6 les malaises

Des jeunes malaises dans une rue commerçante...

Plein d'intérêt pour ce pays, je me renseigne tout de suite sur les groupes musicaux auprès du commissaire de bord : "Des orchestres ?... Chaque grand hôtel en a plusieurs, surtout des groupes Philippins. Les hôtels internationaux : "Hilton", "Hyatt", "Méridien" emploient des groupes italiens...

J'ai envie de tout savoir, d'aller bœuffer…! Il ne m'a pas signalé la présence d'orchestres français mais nous sommes en escale et j'ai opté pour le Japon … N'ai-je pas déjà un visa de travail "entertainment" bien tamponné sur mon passeport ?. (voir la page précédente )

 

Dollar de borneo 2 a 50

6 singapourEn me baladant dans le centre ville, je rentre dans une "Librairie française".

Une petite chinoise, toute menue, consulte des livres. Je lui demande en français si je peux l'aider. Elle est ravie. Après bavardage dans un café, elle me parle d'un français qui voyage comme moi, lui, il dessine des cartoon's et s'appelle Zabo, elle me dit l'avoir rencontré à l'Alliance Française où il passait un film sur ses voyages. ...  "Zabo doit être en Malaisie… il repassera  certainement  par Singapour."

Avant de nous quitter, elle me recommande tous les ouvrages de Krisnamurti, un philosophe humaniste et grand ami de son père. Bien plus tard, en 68 au Quartier Latin, je retrouverai ce petit bout de fille, étudiante à la cité universitaire, devenue militante pure et dure... une "garde rouge"... Cette conversion brûtale m'a toujours rendu perplexe !

Quand à Zabo, il me retrouvera plus tard à Tokyo...! Pour les Jeux Olympiques.


Saïgon

29 et 30 avril 1964. Le "Laos", poussé en travers par les remorqueurs s'approche parallèlement au quai. Ses aussières sont lancées, attrapées et enroulées sur le quai. Aussitôt de jeunes vietnamiennes agrippent ces énormes cordages avec des agilités de singes, remontent 4 à 5 mètres plus haut jusqu'au bastingage. Certaines ont déjà réussi à se glisser à travers les hublots où les attendent marins et cadeaux !

Depuis le temps qu'ils nous parlent de Saïgon ! Sur le port, l'armada américaine nous rappelle que ce pays est en guerre. Des GI's accolés à des vietnamiennes teintes en blonde, en rousse, s'interpellent d'un trottoir à l'autre, ce sale business, insolent, nous saute aux yeux.

Piaste de saigon 50Ce billet de 20 piastes du Viet-Nam du sud ne ressemblent t-il pas au dollar américain...?


la pose de midi :

7 saigon chez rosetteDes mitrailleuses derrière des sacs de sable surveillent chaque carrefour, la trouille me prend. Malgré cette inquiétude, je me laisser prendre par le charme désuet de notre ancienne colonie. Un bistrot témoigne : "Chez Bébert", plus loin, un restaurant : "Chez Jeanine".

A bord, on embarque un français : Patrice, tout juste sorti de Sup. de Co, peu enclin à diriger l'usine de son père, il fait le tour du monde en stop et voyage, sac à dos depuis un an et demi. "Le plus difficile a été d'arriver en stop jusqu' à Istanboul, après, sur le continent asiatique, on ressemble à tout le monde…"

A partir de là, il a projeté de ne dépenser qu'un dollar par jour comme l'ont déjà fait plusieurs voyageurs. Il sera le bienvenu quelques mois plus tard dans mon "6 tatamis", à Tokyo, où nous aurons le temps de faire plus ample connaissance. Patrice, si tu lis ces lignes, contacte moi..


Hong-Kong.

Escale les 3 et 4 mai 64.  Le "Laos" se glisse entre Lantau Island et Lamma Island jusqu'à l'Ocean terminal.

8 h k la baie d h k

Des barges s'agglutinent autour du navire mais aussi beaucoup de sampans sur lesquelles vivent des familles entières. Les enfants sont attachés à de grandes laisses qui les empêchent de passer par-dessus bord. Dès 8 ans, tous les membres de la famille ont conscience de leurs responsabilités.

Quant à mon papy chinois au milieu de tous ses paquets, il a des ennuis. De la coupée, il fait de grands signes à sa famille venue l'accueillir. L'immigration ne le laisse pas descendre car il a un passeport de Formose des années 1935 !

Il ne peut donc pas entrer en Chine, celle-ci ne reconnaissant pas le gouvernement de Taiwan (Formose). Impossible pour lui de descendre à terre et, c'est samedi, les bureaux de l'immigration sont fermés !

Le commandant de bord, bon prince, lui propose de le garder à bord jusqu'à Yokohama puis de le ramener à Hong-Kong au cours de la traversée retour… Pendant ce temps, le consul français aura fait le nécessaire… s'il le peut !  

8 hong kong victoriaEn face : "Victoria" sur  l'île de Hong Kong . Le "sea terminal" se trouve sur le continent  à "Kowloon"


Yokohama,

Dernière escale le 10 mai 64. Après une traversée agitée dans le détroit de Formose. Les passagers en classe économique sont tous un peu inquiets. Passer une immigration est toujours une délicate épreuve. La durée des visas de tourisme est paraît-il variable en fonction des "qualités" des passeports, les meilleurs sont suisses, ils obtiennent 8 mois de séjour, les autres nationalités : 2, 4 ou 6 mois.

Quant à l'adresse de débarquement (obligatoire) Tomita ma donné la sienne. En ce qui concerne la somme d'argent demandée par les douaniers, j'ai remarqué qu'un billet de 100 dollars circulait d'un chevelu à un autre… Je découvrais toutes les combines des voyageurs !

 Keiko, la peintre, me raconte que le compositeur Olivier Messian avait eu droit à un long visa pour étudier la musique des oiseaux. Elle ajoute, très fière : "Nous avons des oiseaux qui chantent très bien au Japon."  J'essaie ce tuyau devant les douaniers qui discutent, s'éternisent en pointant du doigt mon visa de travail "intertainment"… ( j'apprendrai, bien plus tard, que des employés d'agence sont toujours là pour acceuillir les "artistes" ...!). Je n'en mène pas large : Bingo ! : je récolte 8 mois de séjour sans être obligé de sortir tous les 2 mois. Merci  Keiko via Monsieur Messian !


 Au Japon, tout est étrange...

Keiko, en tant que japonaise est sortie la première, très digne, elle ne connaît plus personne ! Tomita discute avec l'immigration à mon propos, il m'invite à le suivre avec bagages et guitares. J'apprendrai plus tard qu'il était devenu "responsable" de moi !

Freddy le suisse est inquiet pour sa Rollex qui entoure mon poignet... Je le rassure :  "T'inquiète pas…, j'ai ton téléphone de Tokyo, je la garde un ou deux jours, je dois suivre Tomita.

Chez lui, à Tokyo, ses parents m'entourent de gentillesse, Tomita essaie de me traduire en anglais, je ne sais quoi !, mais, j'ai hâte de flâner, au hasard des rues et puis, de retrouver Freddy, afin qu'il m'explique toutes ces " bizarreries japonaises" auxquelles je ne comprends rien.

Le lendemain, je lui téléphone : " OK ! J'accepte ton offre : pour attirer des filles chez toi avec ma guitare !." 


Suite dans la page :

"Vie d'un musicien à Tokyo"

 

 

 

 

 

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