La vie d'un musicien au Japon

Du 10 mai 64 au 31 décembre 64

 

Tokyo, chez Tomita :

10 mai. Le lendemain, j'appelle Freddy : " J'accepte ton offre d'attirer les filles chez toi avec ma guitare ! ". Il parle en anglais à quelqu'un et m'interpelle en français : "J'ai une japonaise, à côté d'moi, elle dit d'parler à Tomita…"

J'ai un peu de mal à comprendre son français !  S'en suit alors une conversation interminable à 3 personnages : Tomita qui converse avec son père en japonais puis avec la copine de Freddy. Je me heurte déjà à toutes les complexités de la culture japonaise.

J'apprendrai bien plus tard que les parents de Tomita devaient, sitôt arrivés chez eux me déclarer à la police du quartier. J'en reparlerai ...


Chez Freddy

13 mai : Le lendemain, muni de son adresse écrite en Katakana, j'ouvre la porte d'un taxi et pan !,  je la prends en pleine poire… elle était automatique !  "Welcome in Japan" me lance, sans rire, le chauffeur !

Freddy habite une chambre de 4 tatamis chez une charmante dame en kimono toujours attentive à l'équilibre esthétique de son jardin. Petits ponts, moulins de bambous musicaux et carpes rouges semblent être sa seule raison de vivre. D'après la station de métro proche, nous sommes à Shin Nakano.

5 64 nakano tokyo

Le charme de ce jardinet me laisse sans voix... J'avais tant rêver du Japon... Freddy plus terre à terre, me tend un plan de métro : "Prends celui là, on peut l'comprendre...! "Et puis, méfie-toi, entre les stations, il peut y avoir 3 kms, t'es pas à Paris ici.".

J'apprendrai plus tard qu'il disait vrai : ce plan était dans le bon sens ! , le seul qui pouvait me donner une idée approximative de l'étendue de "Tokyo".

Je découvrirai, perplexe…. d'autres plans qui me semblaient "fantaisistes", le sud étant en haut, à droite ou à gauche, obligé de les regarder dans un miroir pour y comprendre quelque chose ! D'autres représentaient Tokyo tout applatit, sur une feuille en ruban ...! A l'endroit ou à l'envers !! Peut-on imaginer un plan de Paris avec le Bois de Boulogne à droite et le Bois de Vincennes à gauche !!

Je découvrirai, plus tard, que ces plans ne sont pas faits pour représenter des distances, encore moins une représentation de Tokyo en vue de dessus ; le métro roulant à 80 à l'heure, les japonais savent que d'un lieu à un autre il faut 45mn ou 1h 30 pour arriver à destination… Et, de toutes façons, il n'y a pas d'adresses… Cette description de la vie à Tokyo n'était pas faite pour me rassurer...

Freddy, pragmatique : " Il faut que tu connaisses le "Fugestudo", c'est à 3 stations de métro dans le quartier de Shinjuku. Là tu vas faire des connaissances...


Le "Fugestudo"

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Freddy m'explique : "C'est un grand café connu de tous les voyageurs. Ici, tu peux avoir tous les tuyaux pour te débrouiller... pour vivre à Tokyo : des cours de langues, de la figuration dans des films policiers ou d'espionnage. Ils ont besoin de blancs, pas rasés c'est mieux pour jouer les  personnages louches…!  Au "Fugestudo", les garçons et les filles viennent faire des rencontres, tu verras, ils ont tous des livres d'allemand, d'anglais, de russe sous le bras.

Ici, comme les français sont assez rares, les cours de conversations sont recherchés, moi j'ai 2 élèves." dit-il avec son accent de Zürick épouvantable.

"Et la musique ? Cette question me taraude…" Ça, je sais pas trop, il faut d'abord faire des connaissances avec des Japonais, avec les filles, je te fais confiance, les français ont une réputation reconnue.


"Shinjuku" : les jeunes et la musique.

La vie à Tokyo va me réserver beaucoup de surprises. Je suis depuis 8 jours à Tokyo et je passe mon temps à observer la vie japonaise dans les ruelles de Shinjuku. Les maisons en général ont rarement plus d'un étage, avec des minuscules restos de 4 places, 6 places et puis je remarque des "coffee shop's" comme le Fugestudo (ci-dessus), qui peuvent contenir une vingtaine de personnes avec une pancarte sur leur porte indiquant, en anglais et en japonais, le programme musical fixé pour la journée : Frédéric Chopin un jour, Rachmaninov un autre. Souvent, un étudiant en musique, mime debout la direction d'un orchestre symphonique, personne n'aurait l'idée de s'en moquer… la passion est ici la bienvenue.

D'autres "coffee shop's" sont spécialisés dans le Jazz : quand on lit sur la porte : "Benny Goodman", on est sûr de pouvoir écouter toute la journée une grande partie de ses enregistrements enregistrés au cours de sa vie, de même pour Armstrong, Duke Ellington ou John Coltrane.

Chaque endroit possède sa cabine de 1m² dans laquelle officie une jeunette devant ses deux platines, la musique ne s'arrête pas ! La pochette du disque joué est accolé sur la vitrine.

Un premier contact, universel : marquer le contretemps avec claquements de doigts lors d'un morceau qui swingue... Celà indique que l'on est Jazzman... ou pas !  Le rapprochement est facilité.

Ensuite, sur un papier : le nom de nos musiciens de Jazz préférés... Michel Legrand soulevait une approbation générale... C'est dans ces endroits particuliers que j'ai pu expérimenter mes premières leçons d'anglais... Venaient ensuite mes questions concernant le milieu des musiciens de Jazz de Tokyo… Là c'était encore trop tôt !

J'avais bien un mot de recommandation (en japonais) auprès d'un musicien de jazz écrit par une excellente pianiste de jazz : Ayako Kobayashi avec qui j'avais joué au "Blue Note" juste avant mon départ, mais, d'après son téléphone, elle devait habiter à l'autre bout de Tokyo...

Un dimanche, un étudiant, fan de Jazz, m'a amené dans un immeuble pour écouter de jeunes musiciens : du jazz moderne de très bonne qualité, j'ai emprunté la contrebasse pour jouer quelques morceaux avec eux. L'atmosphère du lieu s'apparentait plus à une surprise partie, les bouteilles passaient d'une bouche à l'autre… Ce n'était certainement pas là où j'allais gagner ma vie…


Au " Café Giraud "

Et puis, un jour, dans un célèbre "café musical" nommé  "Coffee Giraud" (merci Yvette très connue au Japon), je me suis demandé qui pouvait bien écouter les chansons de Léo Ferré mis au programme sur la porte ? Des fanas de Léo, ici ?


Akira Tanaka : "chanteur français"

Tanaka est venu vers moi, et, dans un français parfait presque sans accent m'a demandé s'il pouvait s'asseoir à ma petite table (tout est petit au Japon). Il s'est présenté comme "chanteur français", gagnait bien sa vie en passant dans différents endroits. Son répertoire était très large de Maurice Chevalier à Adamo, la grande vedette du moment avec "Tombe la neige...".

Je lui fais part de mes  recherches … Il me dissuade tout de suite de faire du Jazz : " Si tu veux t'installer au Japon... tu es français, il faut que tu chante."  Je lui concède que j'avais déjà chanté quelques chansons de Henri Salvador en Tunisie en 59 !, de là, à devenir chanteur ! "Je t'invite à venir chez moi et tu pourras choisir ton répertoire…"


Chez Tanaka...

Chez lui, dans une banlieue lointaine, les murs de ses 2 petites pièces de 4 tatamis étaient couverts de grandes bobines de bandes magnétiques étiquetées et classées par époque : Maurice Chevallier, Charles Trenet, Yvette Giraud, Yves Montant, Gilbert Bécaud, Marcel Amont, Adamo : une caverne d'un Ali baba chanteur.

J'ai passé mon après midi à recopier des paroles, surtout celles de Charles Trenet dont j'avais envie d'interpréter la plupart de ses chef d'œuvres.

" Il  faut  aussi que  tu chantes toutes les musiques des films français : " Sous  les toits de Paris" (Raoul Moretti/René Clair), "Les feuilles mortes", "Les enfants qui s'aiment" (Kosma/Prévert), "Un homme une femme"  (Francis Lai/Lelouch),  et puis toutes les chansons qui parlent de Paris : "Sous les ponts de Paris" V. (Scotto)  "Ça c'est Paris" (L.Boyer/Charles), "Paris canaille" (Léo Ferré), "Sous le ciel de Paris" (Hubert Giraud), "Avril à Paris" (Charles Trenet)...


"Canot Bar" à Shinjuku.

1 juin 64. Trois semaines après mon arrivée au Japon, ma copine japonaise Yoko me dégotte un endroit pour chanter : le "Canot Bar", minuscule endroit de 25 m² en comptant le bar ! Après avoir chanté une chanson ou deux : la patronne est d'accord .

D'après Tanaka, le boulot est très bien payé, (2200 Yens soit 30NF) pour 2 h30 par soir. A l'époque, pour 200 à 300 Yens, on mangeait correctement à Tokyo dans de nombreux restaurants "étrangers" : espagnols, allemands, hongrois, français, (tous tenus par des japonais), on trouvait également des pâtisseries françaises avec des "mi le fe ye" !!

j'y suis resté 5 mois... J'aurai pu y rester un an, deux ou plus, si je n'avais pas fait une grosse bêtise : avoir réagit comme un occidental !! J'en parlerai plus loin. Comment, du jour au lendemain, Yoko à pu me dégotter ce bon boulot ? : J'aurais la réponse 7 ans plus tard en chantant à Tokyo au sein du Duo Francine et Philou ! Canot bar nettoye

Boîte d'allumettes de "Canot Bar"


La curiosité des Japonais...

A force de faire des connaissances dans les coffee shop's, j'ai découvert que les japonaises (en général moins inhibées que les japonais) viennent à vous pour toutes sortes de raisons.

A part les exercices de prononciation concernant les mots "carottes" et "réfrigérateur", ils s'étranglent sur ce dernier mot !, on trouve des passionnées abonnées aux "Cahiers du cinéma". Pour d'autres, cela peut être la littérature française, la peinture … A "Canot Bar", j'aurais dû savoir pourquoi J-P Sartre venait de refuser d'entrer à l'Académie française !!

On m'a même posé des questions sur Kiki Caron, à propos des futurs jeux olympiques attendus à Tokyo… Et puis, un jour où on aimerait bien être un peu tranquille, il y en a une qui vous a repéré et aimerait bien en savoir plus sur ce que l'on dit des français !

Après 3 ans de vie en célibataire en Asie : Japon, Hong-Kong, Laos et Thaïlande, je peux assurer que l'agréable ne se sépare jamais de l'utile. (Tous les livres sur l'Asie du sud-est du grand écrivain Jean Hougron vont dans ce sens.)


Yoko et son "Sokagakaï ".

Une dizaine de jours avant mon engagement à "Canot Bar", j'avais donc fait connaissance de Yoko, la trentaine, couturière et membre du futur parti bouddhiste "Sokagakai". Elle rentrait de son boulot vert 19h voir plus...

L'amour, après une heure en prière, était d'autant plus stimulé qu'il lui confortait l'idée de me faire devenir membre du "Sokagakai". On devait parler un anglais à travers une centaine de mots ! Ses arguments se devaient d'être persuasifs, du genre : " You'l be never sick…, You'll get a good job …" etc. J'avais beau lui expliquer que les français avaient l'esprit cartésien et que je ne croyais pas à ses balivernes. (on passait aussi beaucoup de temps le nez dans le dictionnaire! ).

Enfin, face à son insistance qui commençait à polluer nos ébats tant attendus…, j'ai dit OK !. Le lendemain, elle m'a emmené auprès de son supérieur hiérarchique de quartier. Après avoir mis mes empreintes sur une feuille pleine de jolis caractères rouges, je suis donc devenu, sans conviction aucune, membre du  "Sokagakaï "!.       

Le lendemain, elle m'amenait faire mon essai à "Canot Bar" !


  Fin de l'énigme...

J'apprendrai 7 ans plus tard  au Tokyo Hilton où chantait le "Duo Francine et Philou" que cette demoiselle Yoko avait dû certainement monter en grade pour avoir réussi à persuader un "ga djin" (honorable étranger) d'intégrer la secte "Sokagakai" . On m'apprit également que le Coffee-Chop "Canot Bar" se trouvait dans un quartier contrôlé à l'époque par cette même secte dont les agents de police étaient membres.


Première au "Canot Bar".

Le 27 mai : Le bar était plein. Pour me rassurer, j'avais mes pense-bêtes scotchés sur ma guitare "höfner" amplifiée. Devant mon micro, la trouille au ventre, je chante "L'âme des poètes" qui deviendra plus tard la chanson fétiche du "Duo Francine et Philou", puis : "La mer"… et là, stupéfaction! , tous les clients "ânonnaient"  les paroles en français…

Tanaka m'apprit que cette belle chanson avait été choisie par la radio pour réveiller la population tous les matins à 6h (j'apprendrais beaucoup plus tard que Charles Trenet a mis des années avant de toucher des droits d'auteur à la SACEM !) Réponse du droit Japonais : "Mais c'est un honneur que l'on vous a fait, Monsieur Trenet…!" ).

Evidemment, pour simplifier, au début, je répétais toujours le même couplet et le même refrain. Un soir, deux couples se sont mis à danser sur : "Quant un soldat" de Francis Lemarque. A la fin de la chanson, j'ai demandé à un habitué qui comprenait le français de traduire les paroles. Je lui explique que pendant la guerre d'Algérie cette chanson était interdite à la radio française. Elle parlait d'un sujet grave, celui du refus de faire la guerre etc. Pendant sa traduction, la clientèle souriait, certains d'entre eux se sont mis à rire !

On m'a expliqué plus tard, que ce rire exprimait l'expression d'une gène, d'un désarroi… Pour dégeler l'atmosphère… Je me souviens avoir enchaîné avec "Parii-is Rei-ne du mon-de… en imitant Mistinguet.  Personne n'a dansé, mais à la fin : tout le monde s'est écrié : "Ça cé  Pa li " !!!


Chez l'imprésario…

Juin, Un après midi, avec Tanaka surpris de voir un "contrat de travail japonais " sur mon passeport, nous sommes allés voir l'impresario qui s'était occupé de faire venir "l'orchestre français". (voir la page précédente : "Embarquement Yokohama").

J'apprends que Jean Amoros, le pianiste des cubains de "Keur-Samba" n'avait finalement pas donné suite au contrat… En conséquence, l'hôtel qui attendait l'orchestre s'est retourné contre l'impresario et lui a réclamé une grosse somme d'argent pour dédommagement...

J'étais plutôt mal à l'aise… et s'il apprenait que je travaille à "Canot-bar" sans contrat…

Après une discussion entre eux, interminable, Tanaka se tourne vers moi : "Il voudrait que tu montes ton orchestre, que tu fasses venir d'autres musiciens français pour le "Tokyo Hôtel", c'est un palace…"  ajoute Tanaka et puis : "C'est très bien payé : vous auriez 10.000 yens par jour pour chaque musicien" (130 NF/jour alors que j'avais 30 NF par soir au "Canot Bar"! 

Tanaka continue, raide comme au garde à vous : "Monsieur Kobayachi dit que les voyages en avion sont au frais de l'hôtel et qu'il t'offre le voyage pour ta femme… Monsieur Kobayachi insiste pour que vous soyez là vers le 15 août prochain. Toute la publicité : photos, disque et télévisions doit être faite avant l'ouverture des Jeux Olympiques .

Plus de 3 mois nous séparait de l'ouverture des Jeux du 10 au 24 octobre. J'envoie un télégramme à Zizi afin qu'elle recontacte les 2 ou 3 musiciens qui avaient été déçus par cette affaire avortée. Mais il fallait qu'elle en trouve 2 ou 3 autres et l'impresario voulait un accordéon ! ça compliquait tout... D'après Tanaka, il existait un accordéoniste français, très connu à Tokyo dans un décor montmartrois qui gagnait énormément d'argent et depuis de nombreuses années…


Fête du 14 juillet 64

Tanaka m'invite à la réception de l'Ambassade de France : "Tous les français sont invités à boire le champagne - Et toi, comment tu peux entrer ? - Moi, je suis venu pour chanter la Marseillaise en français, tous les ans on me demande et je rencontre beaucoup de gens ".

Tout le gratin des français installés à Tokyo est venu mais aussi des personnalités japonaises en kimono de cérémonie de l'Institut franco-japonais. Parmi les "français" de passage, je retrouve Freddy le suisse allemand… Les hôtesses d'entrée ont cru bien faire... Depuis la présence de Yoko et ses "prières récompensées", on ne se voyait plus qu'au Fugestudo, dernière étape pour de nombreux voyageurs en quête de petits boulots… D'autres, posaient là leur sac, pour se refaire une santé, malmenée dans les fumeries de Kaboul ou sur les routes poussiéreuses du Pakistan.

Patrice, embarqué à Saïgon est là également. Sur le bateau, il était plongé dans la philosophie de Krisnamurti, il souhaitait lire ses écrits en haut du Mont Fuji. Il revient d'un tour du Japon en stop, sur son sac à dos est cousu un petit drapeau français : "C'est utile pour me différencier des américains qui sont plutôt mal acceptés… Ici, à la campagne, beaucoup de gens m'ont invité à manger, j'ai pris 10 kg ! Pour dormir, on m'indiquait le temple le plus proche et j'ai toujours été bien reçu. Je dois rentrer en France, mon père m'attend pour reprendre son usine."

Après avoir fait "Sup. de Co.", Patrice voyageait depuis 1 an et demi avec 1 dollar par jour. Il a passé 8 jours dans ma nouvelle piaule avant de reprendre le bateau pour Irkoust près de Vladivostok afin de prendre le transsibérien. (Salut Patrice, contacte moi à Junas 30…)


Dans un nouveau quartier...

Depuis peu, j'habite dans un autre quartier de Tokyo à "Komagomé", à 45mn en métro du quartier Shinjuku. Un habitué de "Canot-Bar" m'avait mis en contact avec un célèbre peintre japonais d'un certain âge : Monsieur Ito.

Ce peintre connu, avait vécu à Montparnasse dans les années 30 en compagnie de Foujita. Son fils "Go" souhaite apprendre le français pour aller aux Beaux-Arts à Paris.

A raison de 2 cours d'une heure chaque semaine, le papa offre de me payer le loyer d'une "grande chambre". Le loyer d'une "six tatamis" est cher au Japon. Toutefois, Monsieur Ito pose une condition : son fils doit pouvoir venir à pieds à ses cours. Ma nouvelle maison est donc à 300m de chez eux. Leur famille habite un petit temple, au milieu d'un parc dans un endroit magnifique dont l'équilibre "Zen" entre parties sablées, bassins, verdure et nombreux oiseaux semble magique.

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La "maison" de Go Ito


Ma nouvelle piaule.

Au premier étage d'un maison, un couloir donne sur 4 pièces de 6 tatamis chacune. J'habite l'une d'elle. Ces pièces sont séparées par des cloisons de papier des plus légères : 2 cm ! Au rez de chaussée habite une sorte de "concierge", avec 2 enfants. Elle ne manquera jamais de saluer mes allées et venues.

Par les gestes, je fais comprendre à Go, mon élève, qu'il n'y a pas de serrures, ni à l'une, ni à l'autre ! "No need ! no sheef in Japan" me répond  Go, tout rouge de confusion.  Le quartier est tranquille, la rue est si étroite que les voitures ne s'y engagent que pour stationner. La voisine m'amène tout de suite des pommes pour m'accueillir et la petite fille du bas a mis son kimono des dimanches pour m'apporter un bol de soupe.

J'apprendrai plus tard que ma voisine ayant entre 30 et 35 ans restera vieille fille… D'après Tanaka "Après 30 ans, les femmes ne trouvent plus d'hommes pour se marier.". Et puis, j'avais fini par remarquer que chaque semaine, deux hommes venaient discuter avec ma "concierge".

Go me fît comprendre avec son dictionnaire que la police du quartier prenait "bien soin de moi", que c'était toujours comme cela avec les "gad jin's"… (Les honorables étrangers)

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Lulu san et Tanaka san


A "Canot Bar"

Depuis 1 mois à "Canot Bar", je remarque que les habitués ne sont pas les mêmes selon les jours. Il y a ceux du lundi, ceux du mardi, etc. Puis je me suis rendu compte que tel jour de la semaine, les clients redemandaient les succès de Charles Trenet, les "requests" d'un autre jour étaient des musiques de films, voir le répertoire d'Yves Montant...

Il est évident que je manquais de répertoire. La barmed qui ne parlait pas un mot de français connaissait les paroles de "Sou les toua de Pallis te vela manini…" (du film de René Clair "Sous les toits de Paris). J'ai eu bien du mal à la comprendre pour m'écrire les paroles sur un papier ! Ce bar minuscule était plein tous les soirs.


Kumiko

A Canot bar, j'ai fait la connaissance de Kumiko. Une des secrétaires d' "Unifrance film". Kumiko parle très bien français, me parle de son patron correspondant du "Monde" : Jean Lacouture. A Unifrance Film, elle me fera rencontrer également Kriss Marker auteur du film d'art et d'essai : "Le mystère Kumico".

Une autre fois, elle me donnera une invitation pour le vernissage des "Parapluies de Cherbourg" (Les films étrangers qui passent au Japon sont toujours en V.O.).


Une oeuvre inoubliable...

La vue de ce film de Jacques Demy est resté pour moi un moment inoubliable et, à voir les kleenex's qui circulaient dans les rangées, je n'étais pas le seul à être bouleversé d'émotion…

Il a fallu que cette histoire d'amour qui aurait pu être banale, soit sublimée  par l'harmonie des couleurs, la beauté de Catherine Deneuve et l'écrin musical dû au génie de Michel Legrand pour qu'elle devienne un chef-d'œuvre.

Cette œuvre est pour moi susceptible, 44 ans plus tard, de me produire les mêmes émois aux mêmes passages du film. Après cette projection, je me suis senti bien seul parmi des français qui ne parlaient que de leurs problèmes personnels...Et de leurs inquiétudes par rapport à la guerre au Vietnam…

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A "Unifrance Film" : les trois copines, Kumiko au fond.


Quant à mes habitués du "Canot Bar", quelques semaines plus tard et sous leurs demandes, j'ai du apprendre les chansons du film. Au début on chantait tous "la la la"...

Les premières paroles, (en anglais !), sont arrivées avec le disque "Brasil 66" de Sergio Mendès : "Watch what happens". Tanaka m'apprend que Michel Legrand vient d'arriver au Japon : "C'est une grande vedette, à chacun de ses voyages, une foule japonaise l'attend à l'aéroport."


Pour mon anniversaire...

2 Aoùt 64. Pour mes 30 ans, Tanaka veut me faire un cadeau. J'avais remarqué depuis quelque temps qu'il n'oubliait jamais son petit magnéto quand il venait m'écouter chanter, je l'invitais toujours pour faire un petit bœuf d'une chanson ou deux, son bonheur ! Il me propose donc de venir avec lui dans le quartier Akihabara (si ma mémoire est bonne) endroit réservé au commerce électronique. Dans ces rues, les boutiques ne vendent que magnétos, haut-parleurs, radio etc. Sur le trottoir, nous entrons dans une cabine de 2 m² ! Tanaka sort de son sac une bande magnétique. Un quart d'heure plus tard, je ressors avec 2 disques vinyles, 4 morceaux que je possède encore.

Extrait des chansons demandées au Japon : : 000 : Le danseur de charleston  (Jean-Pierre Moulin).  2 m/n 30 : Les feuilles mortes (Prévert/Kosma)  5 m/n 20 : Quand je monte... ( Salvador) . 6 m/n : J'ai du soleil plein la tête (Hornez/Crolla).


 Les "vacances japonaises"

10 Août. Après le chaud et pluvieux mois de juin où les chaussures de cuir moisissent d'humidité, en juillet et août la température varie entre 32 et 35°. En juillet, la "Mama san" (la patronne) paie les vacances de son personnel. Il s'agit d'un voyage de 24h à Mito, 100 km au nord de Tokyo dans un hôtel du bord de mer.

A la gare, la "mama san" et les deux filles du bar ont mis leurs plus beaux chapeaux. A la plage, elles se trempent les pieds et retournent vite sous leur parasol pour ne pas bronzer, il faut rester bien blanche, ne pas ressembler aux paysannes ! Quant à moi, je fais figure de héro en me fichant à l'eau !!" So deska nee!" (admiration des filles!).

Ces "Vacances Canot" tant attendues, on m'en parlait depuis 15 jours afin que je n'en n'oublie pas la date!

7 64 vacances canotA l'Hôtel Mito de g.à d. : le barman, la barmed qui m'apprit les paroles françaises de la musique du film : "Sou les toua de Pallis te vela manini…" de (René Clair) ... La patronne, son gamin et la serveuse.


"Projet Tokyo Hôtel annulé..."

16 août. L'impresario a rappelé Tanaka pour lui signaler qu'il n'a toujours pas eu de nouvelles des musiciens français. N'ayant pas reçu leurs identités pour établir les demandes de visa, il annule les projets de contrat avec le Tokyo Hôtel. "Il dit aussi qu'il ne prendra plus jamais de français..." m'annonce Tanaka, rouge de confusion…


Un premier bilan.

Après 4 mois de "Canot Bar" mon répertoire est parfaitement rodé, c'est la routine. J'aimerais toutefois rencontrer le milieu des musiciens. Ils sont bien quelque part… Avec mes 13.200 yens par semaine (6 soirées), à part le "Maxim' de Tokyo" où le Duo Francine et Philou sera invité en… 1972 dans d'autres aventures, j'ai largement de quoi payer mes repas dans des restaurants italiens, allemands, espagnols ou hongrois, tous tenus par des japonais, aux prix de 200 à 250 Yens par menu.

Ma chambre, "gratuite", me permet de faire quelques économies pour continuer mon but : voyager… J'ai d'ailleurs souvent le nez sur mon planisphère : avec cet argent, je peux aller soit aux Philippines, soit à Hong-Kong, ou bien en Corée, au Cambodge, au Laos... Ces deux derniers pays étant souvent qualifiés de paradis par certains voyageurs… D'autres ne jure que part l'Afghanistan, de son haschich…

A cette époque, je n'ai jamais été aussi conscient de ma totale liberté de pouvoir vivre au hasard des rencontres, combien plus enrichissantes qu'en France !


Diane : une voleuse...

Je loge pour quelque temps une française, une grande fille sportive qui vient d'un village près de Bâle. Elle parle parfaitement anglais et me donne une leçon par jour. Diane, en un an, a fait la route à pied, en stop, sac à dos depuis son village. Elle est moins rêveuse et plus rapide que Patrice.

Un soir, au retour de "Canot Bar", Diane, ses affaires et mes économies avaient disparu ! !

100 yens japonais a 50

100 yens de l'époque.


Au secours Freddy !...

Moi qui envisageais de partir pour Hong Kong après les jeux Olympiques et d'embarquer sur le "Viet Nam" du 8 novembre, c'était raté, il fallait que je remette de nouveau de l'argent de côté.

J'ai fait appel à Freddy le suisse, qui m'avait parlé de figuration au cinéma … Sur ses conseils, j'étais venu pas rasé… pour jouer les types fourbes !… En fait de film policier, j'ai du danser une valse de Vienne, en frac, avec une américaine pas très douée sur les 3 temps ! C'est pas toujours facile le métier d'artiste !

10 64 yoko et dianeYoko et Diane. (Yoko 30 ans, de mère Coréenne, très lourd à porter au Japon...)


La grosse bêtise…

Début octobre: Un soir, je loupe mon train.  J'arrive avec un quart d'heure de retard au "Bar Canot". La "mama san" regarde sa montre. Je m'excuser sincèrement en anglais et en japonais (goménasaï). A la fin de la soirée au lieu de terminer à minuit et demi comme tous les soirs, je chante jusqu'à 1h, l'heure de fermeture.

Les jours passent et on oublie l'incident. La dernière semaine du mois se termine, les 3 employés attendent leur enveloppe, alignés comme au garde à vous ! Je suis surpris, il me manque une soirée : 2200 Yens. Je fais constater l'erreur à la patronne. Elle me montre sa montre : "Last monday, you'l be late …."

Furieux, je laisse exploser ma colère, mon anglais me manque pour lui signifier que j'avais amplement rattrapé mon retard… En colère, je prends ma guitare et mon ampli, j'appelle un taxi et je rentre à Komagomé.

A peine rentré, mon téléphone sonne. Yoko était en larmes, inconsolable. "C'est très grave, c'est très grave…" ne cessait-elle de répéter…

j'appendrai 7 ans plus tard qu'elle avait perdu la face vis-à-vis de l'organisation "Sokagakaî ".

9 64 depart patrice vladivostok15 septembre : Départ de Patrice, il retourne en France par le train de Vladivostok qui travers la Sibérie. Salut à toi...


 Suite dans la page :

Rencontre d'un phénomène : Zabo

 

 

 

 

 

 

Traduction en anglais

 
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