64 Au Blue note...Japon?

1964

Au Blue-Note

Un soir, à la suite d'un boeuf à la basse au Blue Note, Michel Gaudry, bassiste titulaire du Quartet Gourley-Urtreguer-Bellonzi, me demanda de le remplacer toutes les fois qu'il devra accompagner Barbara.

Le "Blue-Note" était un bar de jazz connu, à deux pas des Champs Elysées et pourtant ... Il n'était plein que les vendredis et samedi soir. Les amateurs de jazz moderne, de province et de passage à Paris allaient prendre un pot au Blue-Note ou au Club st Germain. Quant aux soirs de la semaine, il n'y avait guère plus de 15 personnes qui bavardaient au bar. Ce jazz moderne, fin, riche en harmonies me semblait être une musique d'initiés... destinée aux "musiciens"...

A cette époque, il y avait 2 trios au Blue-Note : le trio vedette était celui du célèbre batteur, l'un des créateur du style "Be-bop" : Kenny Clarke. George Arvanitas ou René Urtreger était au piano et Luigi Trussardi à la basse.

Le second trio géré par Michel Gaudry comprenait les guitaristes Jimmy Gourley ou René Thomas avec au piano : Kenny Drew ou Sardaby ou J.Claude Lubin. Le batteur était souvent Lolo Bellonzi ou Franco Masecchi. Cette fin d'année était pour moi vraiment prometteuse, en fin de soirée après 1 heure du matin arrivaient des "bœufs" souvent prestigieux. Ils arrivaient après la fermeture des autres boîtes.

Pendant les pauses Jimmy Gourley, le fameux guitariste nous invitait à monter dans sa petite Austin. Il faisait le tour du pâté de maisons et le joint circulait... (A l'époque, il ne fallait pas se faire piquer par les flics !). Mais, cette ambiance ne me correspondait pas... J'avais la nostalgie des soirées "Samba-Carnaval " de "La Grande Séverine"... où la musique était synonyme de fête.

Au "Blue-note", j'étais seulement curieux, sans doute stimulé par le fait de me faire connaître parmi les pointures du Jazz...


Début décembre. Michel Gaudry, devenu l'un des deux bassistes réguliers du Blue-Note m'appelle une fois de plus pour me demander de le remplacer, cette fois pour un bout de temps :

Michel au téléphone : " Barbara va faire Bobino... Je sais par René Nan (batteur de Jacques Hélian) que vous n'avez presque pas d'affaires en vue...", puis, il rajoute : "Cela ne m'enchante pas trop, 15 jours à "Bobino" ... Avec Barbara, c'est pas simple de rattraper ses envolées musicales qui deviennent vite des fautes de mesures...". Evidement, Barbara n'était pas Ella Fitzgerald ! mais les 200 F par soirée, comparés aux 50F du Blue-Note...!

Toujours est-il que je me suis retrouvé à accompagner le fameux guitariste belge René Thomas avec, au piano le pianiste américain : Kenny Drew et  Lolo Bellonzi à la batterie.


"Les pointures"...

Cette fin d'année était pour moi vraiment prometteuse... En fin de soirée arrivaient des boeufs... 

Ces 6 jours les 12, 15, 16, 17, 18, et 19 décembre 1963 sont restés gravés dans ma mémoire. Certains soirs, René Thomas se faisait remplacer par le célèbre violoniste Jean-Luc Ponty (en uniforme militaire !). A cette époque, il essayait d'adapter son jeu à celui de John Coltraine mais en faisant usage de doubles notes... Quel boulot sur un violon !

J'avais connu Jean-Luc tout jeunot venant faire ses débuts avec son copain Dany Doriz (dont ses plus jeunes sœurs l'aidaient pour descendre les différentes parties de son vibraphone dans la cave du Slow-Club, située 2 étages en dessous du trottoir ! . Jean-Luc et Dany devaient avoir 32 ou 33 ans à eux deux !

Les dimanches, en fin d'après-midi, après avoir été violon soliste dans l'Orchestre Lamoureux, Jean-Luc, à l'époque, complètement influencé par Grappelli, venait jouer chez Marc Laferrière, je me souviens de sa réflexion : "Si mon prof m'entendait jouer du Jazz, il en serait malade".


Un soir, au "Blue-Note", Donald Bird après avoir joué au Club St Germain, a déballé sa trompette. Un autre, l'un des créateurs du style Be Bop : Bud Powel, sorti de sa tanière : un petit hôtel à St Germain des prés, sans un mot, s'est mis au piano; les paumes de ses mains posées sur le bord du clavier... C'est tombé sur moi ! , je n'en menais pas large, impossible de savoir si ma pulsation lui convenait...

Vers 1h du matin, les batteurs : Daniel Humair, Jean -Louis Viale venaient souvent, l'excellent pianiste Michel Sardaby également.

 J'ai donc terminé l'année 63 au "Blue-Note" avec Nathan Davis (sax ténor chez Count Basie !), Daniel Humair (dms) et Georges Arvanitas (p). Le lendemain, Nathan Davis (ts) se fait remplacer par Johnny Griffin (ts)…


A propos de Johnny Griffin,

j'ai souvent raconté cette anecdote : Michel m'appelle : "Ce soir, tu vas te régaler, tu vas jouer avec Griffin… T'inquiète pas pour les thèmes… Il joue beaucoup de blues… - Oui, mais, il a la réputation de jouer des tempos d'enfer, j'ai pas encore acquis la souplesse de la main droite, j'ai vite le poignet comme un bout de bois…"

Le soir venu, j'essaie de baragouiner à "Johnny" que je ne suis que le remplaçant… etc.. Johnny me rassure : "Dont worry, be quiet ! " Au début, tout allait bien, lorsque la bouteille de Whisky était encore pleine… mais au fur et à mesure qu'elle se vidait, il oubliait mes recommandations… Des blues, ça c'était vrai  mais sur des tempi impressionnants et qui duraient plus de 10 mn ! J'ai dû terminer des sets un temps sur deux ! Ce qui ne le gênait pas le moins du monde… Ces "géants" ont le swing vissé aux tripes. Heureusement, Daniel Humair et Georges Arvanitas étaient là pour me conseiller ! Encore merci..


En janvier 64, l'orchestre Hélian a peu d'affaire. Un seul gala, le 24, à Paris, à la "Mutualité", retransmis par "Radio Bennet" (cachet 100 F + prestation radio). Quatre sont prévus pour février…

Par contre, une proposition d'affaire au Japon était dans l'air. Après en avoir parlé à Jacques Hélian et en attendant d'en savoir plus, je lui assure les 4 galas de février : le 1 à Longwy, le 2 à Reims, le 8 à Calais et le 22  à Paris.


Le 9 janvier, Au matin, on m'appelle en catastrophe pour une séance d'enregistrement pour J. J. Debout (65F +25 F de transport), le bassiste prévu est dans l'incapacité de jouer ! Le soir, rue de la Huchette, je retrouve la cave de mes débuts : le "Bidule" avec Bernard Castella (p), Maurice Martin (dms).


Une date qui va changer le cours de ma vie...

Le 15 janvier : Amoros le pianiste qui jouait toujours avec les cubains de Keur Samba me parle d'une affaire en or : Un contrat de trois mois à Tokyo dans un grand Hôtel ! Il me propose de venir comme guitariste chanteur ! Il est également en recherche d'un batteur, d'un sax ténor et d'un accordéoniste ! (exigé dans le futur contrat...) Suspense : branle-bas de combat à la maison... On rêve !...


Le 17 janvier, c'est un gala à l'Ecole Polytechnique, une affaire de Dany Doriz (vb) avec Charles Barrié (ts) et Teddy Martin (dms et vl), les grandes pointures du swing ! A ce gala, en attraction, on a eu l'immense plaisir d'accompagner sur une dizaine de morceaux le grand Stéphane Grappelli. Quel souvenir d'avoir joué derrière celui qui m'a fait découvrir le jazz au tout début des années 50 !


Le 18 janvier 64, ce sont des retrouvailles avec Richard Bennet et ses "Dixie Cats" dans un gala au "Grand Hôtel". Seule la rythmique, dont je fais partie, doit accompagner les "Surfs" qui passent en attraction. (cachet 200F + 50F).


Le 21 janvier, Michel Gaudry m'appelle pour jouer au "Blue Note", cette fois pour accompagner Nathan Davis (ténor soliste de Count Basie) avec Kansas Fields (dms) et Georges Arvanitas (p). Le lendemain après-midi, c'est une affaire avec Raymond Fonsèque (tb) à Sceaux avec Jacques Chrétien (tp), Francis Wess (cl et ts) et Jean Martin (dms). Le même soir, de nouveau au "Blue-Note" avec les mêmes musiciens que ceux de la veille sauf Georges Arvanitas qui est remplacé par René Urtreger.


Le 23 janvier, on me téléphone à 8h du matin !! pour être au studio d'enregistrement à 9h : prestations 165 F pour une pub pour le "Café Legal" ! Moi, non lecteur, me sens un peu considéré comme la roue de secours des bassistes lecteurs handicapés… !

Le 29 : c'est de nouveau avec les "Dixie-Cats" dans le cadre d'un concert  JMF (Jeunesse Musicale de France)  à  Nevers (cachet 200F + 70F d'essence)

le 6 février 64, entre les derniers galas "Hélian", je suis de nouveau au "Blue-Note" au côté d'Art Taylor (dms), Nathan Davis (ts) et René Urtreger (p).

Le 21 février en trio au Caméléon avec Michel Roques (fl) et Daniel Humair (dms) sur une surface d'environ 3m² pour les 3 musiciens


Et l'affaire de Tokyo ?

A propos de cette "Affaire" au Japon", tous les contacts étaient dans les mains de Jean Amoros, un des rares pianistes de musique cubaine à Paris. Amoros jouait toute l'année à "Keur Samba", rue de Rennes.

Il était question d'une agence japonaise qui cherchait un orchestre français pour un contrat d'un an dans un grand hôtel de Tokyo.

Mais Amoros, cet excellent pianiste de style "cubain", avait du mal à réunir 6 musiciens "passe partout". L'un n'avait pas de passeport valide, un autre prenait prétexte de la guerre du Viet-Nam… ! Le troisième venait d'acheter une voiture neuve !  Etc.

Ma femme Zizi, et moi étions d'accord pour changer de vie, voir autre chose... en fait notre couple battait de l'aile... En prélude des années 68, le film "Jules et Jim" aidant, d'hypothétiques pas vers une libération sexuelle avaient fait des dégats… On comptait sur un grand courant d'air ! On a tout de suite accepté la proposition. Cette attente pour trouver des musiciens était un véritable suspense. Enfin Jean Amoros sembla avoir réussi à réunir un sextet.


Le 25 février, Amoros apprend que nos visas sont acceptés, on doit aller de suite au Consulat Japonais avec nos passeports...

En même temps, une autre proposition venait embrouiller ces incertitudes : Jean Nubel, chef d'orchestre connu en Europe m'avait contacté de la part des "Latins" dont le pianiste et chef du groupe était le fameux musicien José Marchèse de Tunis qui m'avait tant apporté dans mes débuts de musicien.

L'orchestre Nubel cherchait un remplaçant à son "guitariste chantant", sachant si possible, jouer de la basse pour son sextette de variétés. L'orchestre se produisait actuellement au "Méditerranée" à Marseille pour 3 semaines.

Ensuite, suivaient d'autres contrats déjà signés : chaque mois comportait  3 semaines ou l'on jouait tous les soirs sauf les lundis. Suivait une semaine de repos... L'orchestre Nubel était  une affaire sérieuse, réservé sur plus d'une année à Zürich, à Amsterdam, en Italie, en Espagne, en Suède : Une affaire en or !


Pour les 27 et 28 février, Le groupe Nubel me propose donc de jouer avec eux au "Méditerranée" à Marseille  (cachet de 70 F). Après cet essai concluant et en attendant les suites de l'affaire de Tokyo, j'accepte donc de les suivre.


     Au "Tabaris" à Zürich.

Du 1er au 21 mars 64. Les musiciens étaient excellents, jouaient de la très bonne variété, on prenait la suite de l'orchestre Bob Azzam, groupe réputé qui, lui aussi écumait l'Europe. Le répertoire "Nubel" était en partie celui de "Sergio Mendès" pour le brésilien, quelques morceaux des "Beatles" et pour le jazz : des standards de jazz swings et des charlestons. On était logé et très bien payé : (62 F suisses moins 10 F d'hôtel) à l'époque 70F français par soir.


  Contrat Tokyo annulé...

Le 10 mars 64, à Zürich, je reçois un télégramme d'Amoros "Agence japonaise annule contrat. Limite dépassée." La tuile! On s'était fait griller au poteau par un groupe italien bien organisé, avec photos en costumes différents et bande magnétique du groupe… des pros quoi !!

C'est décidé, je pars quand même… quelques jours plus tard, j'avais mon ticket de bateau pour Yokohama…


Le 28 mars, je fais un remplacement à l'Ambassis du Casino de Trouville dans l'orchestre de Léo Slab sans savoir que l'on rejouera ensemble, 40 ans plus tard, à Villeneuve les Avignon ! et surtout, dans le bistro jazz de Montpellier : "le Sax'aphone" tenu par mon vieux copain de régiment Jean Pierre Lesigne !


34 ans plus tard, dans la page "Participation aux groupes" on peut voir et écouter le père Philou, son fils Olivier et Léo Slab dans le "Blow Léo Trio" on peut lire un article de Jean Abush (tb) paru dans le Jazz Dixie Swing n°15


Le 30 et 31mars, je suis de nouveau au "Blue-Note" avec Jean-Luc Ponti (vl) Jean-Louis Vialle (dms) et Michel Sardaby au piano.

Le 1 avril, Michel Sardaby est remplacé par Jean-Claude Lubin.

Le 3 avril Toujours au "Blue-Note" avec Jimmy Gourley (g), Georges Arvanitas (p) et Lolo Bellonzi (dms).

Le samedi 4 avril sera mon dernier gala en France, à Vierzon, en remplacement du bassiste de l'orchestre de "Trompette Boy"  (allias Fernand Verstraete, ancien trompette d'Hélian… avec un cachet de 200f).

Le dimanche 5 avril. Au Blue-Note, J'ai le plaisir d'accompagner la pianiste Ayako Kobayashi en remplacement de René Urtreger. Elle me donne les coordonnées de ses amis musiciens à Tokyo, Ouah!


Toutes ces précisions, je les dois à ma première femme : Suzette, ancienne secrétaire de direction et mère de mon fils Olivier Blot excellent musicien de Jazz. Zizi a noté chaque jour toutes mes activités des années 1960-1961-1962-1963 et 1964.  Bricolages dans une colonne et mes activités musicales et leurs cachets dans l'autre.

Zizi vient de nous quitter à 92 ans... (Aoùt 2022)


 Embarquement à Marseille... vers Tokyo .

Le 7 avril 64 : Quai de la Joliette, les musiciens "Nubel" sont là… Quant à moi, je suis déterminé, plus rien ne peut m'empêcher d'embrasser la "Grande Aventure" avec guitare, guitare basse et mon sac de voyage habituel… Après nos désordres sentimentaux, il me faut partir loin de Paris, vivre une autre vie pour remplir ce vide qui m'angoisse...

Ce sera 28 jours de mer à bord du "Laos " jusqu'à Tokyo où j'espère bien utiliser mon visa de travail de 6 mois inscrit sur mon passeport. J'étais bien loin d'imaginer les péripéties qui allaient suivre… Enfin, les amours asiatiques.... Je ne reviendrai en France que 2 ans plus tard, en apprenant  la mort de mon père...


 Suite dans la page :

 

Marseille Yokohama par mer

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