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Acapulco... et l'Hilton

En route pour Acapulco

Journal de bord de Francine

 

De l'orage dans l'air ...

     On rêve de partir à Acapulco... ça à l'air de se décider, mais on attend toujours le contrat. Philou à fait 2 enceintes acoustiques supplémentaires, parait que ça s'impose. On a commandé les caisses de bois à un petit menuisier à côté de la "Llave". Pourvu qu'il n'oublie pas le trou du haut-parleur, on s'attend à tout...une semaine, qu'il a dit, on a insisté très fort, pas un jour de plus parce qu'on quitte Mexico. "Muy bien".

On a rencart avec un client du Club qui aurait une proposition à nous faire : un disque. Il a déjà une demie-heure de retard, il viendra sûrement pas. Je commence à me réjouir, l'heure de la répétition est déjà passée, je vais peut-être échapper au métronome...

Les super stars de la Zona-Rosa vitrinent sous les parasols, dégustations de cocktails, de camarones, crevettes-ketchup. "Tu fumes encore ! tu te rends compte, après il va falloir que je descende tous les arrangements, tu pourras plus attraper les notes du haut ... - Fous moi la paix ! "


   Chez Marie :

" Eh bien mes petits, je suis contente, je vous vois heureux ; Philou ne me fait plus peur, il a le sourire. Mais j'y pense, caray !, c'est Pâques, les bus sont complets. Pensez, tout le monde va passer les fêtes à Acapulco.

- Mais il faut absolument que nous partions - Prenez l'avion... - Vous voulez rire, avec nos 150 kg de bagages...le voyage n'est pas payé ! - Je ne sais pas moi, si tout est plein... - Faites quelque chose, c'est votre boulot après tout. - Mais que voulez-vous que je fasse. Ramon, vous avez une idée ?

Ramon vautré dans un fauteuil, suffisant, satisfait. c'est un client assidu des modèles de l'agence. Il frotte les bras du fauteuil avec un petit sourire, il est devenu  le centre de l'intérêt :

- J'ai bien un WW mais c'est trop juste pour votre matériel et de toute façon, je m'en sers. J'ai aussi une R8mais c'est encore trop petit

- On vous achète une galerie ". Il n'avait pas pensé à ça, il ne peut pas dire non. Un grand seigneur ne se rétracte pas.  - D'accord mais ça métonnerait fort que vous ayez le temps.

Il sourit, contrarié, on se laisse emporter par les mots et... vite c'est le moment de partir avant qu'il trouve autre chose. " Bon c'est entendu comme ça, on passe demain matin, où habitez vous ?

- Ne vous dérangez pas, je la garerai devant chez Maria et je lui laisserai les clés. On l'a eu de justesse. Maintenant, c'est la vraie pagaille pour les valises. -Heureusement que je commence à avoir une sacrée technique, manque plus que la roulotte...

Deux heures plus tard, Marie nous téléphone : " Ramon est désolé, il avait complètement oublié que son cousin lui avait demandé sa voiture pour les fêtes... vous comprenez, il ne peut pas refuser.

- Ça va, ça va, on a très bien compris... - Alors mes petits, qu'est-ce que vous allez faire ? - On n'sait pas. En tout cas on n'compte plus que sur nous parce que vos copains vous pouvez vous les garder, salut. "

La Marie, elle savait bien... et dire qu'il n'y a même pas de train pour Acapulco. Seulement quelques wagons de marchandises qui mettent trois jours et trois nuit les jours de bon vent pour faire près de 380 kms !

Déménager... pas si simple ! ?  " Et si on appelait  les camions de déménagement ? " Le premier numéro : sont pas au courant, savent pas ce que c'est des déménagements... Le deuxième : "Combien de camions faut-il ?... "Ça colle pas, c'est des poids lourds". Troisième numéro : "Oui, oui, d'accord, c'est pour quand ? - Demain .... - Combien demandez-vous pour Acapulco ?... QUOI  ? Non merci.

On sort dans la rue en quête d'une idée, merde, on va rater un contrat à cause d'une connerie... "Marche pas si vite, tu vois bien que je suis crevée ; à 2400m, je me demande comment ils ont faits, les sportifs aux jeux Olympiques. Alors, t'aurais pas encore une petite idée parce que moi, je n'en peux plus ... - Et les taxis ? 

- Tu parles, ils vont demander une fortune. - Demande toujours..." Il faut en trouver un, c'est pas facile. Au bout de 20 mn, on saute sur un Chevrolet branlant. "Acapulco ? - Pero es muy lejos ! - Si si, pero, cuanto ?

- Ah...!  " Il s'y attendait pas. Il appelle la station de taxi pour expliquer son problème, ils ont l'air d'accord. "Cuanto ? - Pues...550 pesos - Ok ! manana por la manana à las 7. Ok ? - Muy bien."


Mexico-Acapulco en taxi !...

Montagnes rouges d'Acapulco. Bidonvilles, trous dans la montagne, terriers, invraisemblable amalgame de planches, grouillement de gosses grillés, fourmis ballonnées dans l'enchevêtrement chaotique des cabanes, loques accrochées, chiens purulents.

Les terrains du bord  de mer achetés par les grands promoteurs n'étaient pas inhabités, mais tellement pittoresques et le pittoresque ça paye. Grandes robes aux couleurs brûlées. La terre rouge, la poussière rouge.

Une marmaille s'envole dans un bouquet de piaillements au passage de la voiture, la route monte toujours en virages secs, la terre mange le bitume, encore un tournant, une chèvre boitille dans la lumière ocre du soleil couchant, une vieille lisse ses nattes grasses en glapissant sur place ; reniflée par un coyote hargneux, une fillette trottine et l'eau de son seau jaillit à chaque pas.

   Le chauffeur relâche la pédale. La Baie d'Acapulco s'ouvre sous nos yeux... La voiture ralentit, des bouffées de chaleur moite s'engouffrent et nous sommes immédiatement trempés. Mirage après les déserts de l'intérieur, l'aridité mouvante de chaleur.

Fureur de la végétation tropicale après les pierres et les cactus, les manguiers et les roches claires. Taxco, terré sous le feu de midi, les vaches stupidement prostrées en plein virage, les arrêts-buvette sous les ventilateurs poussifs et la route ruissellente de chaleur.

Le chauffeur n'a pas desserré les dents depuis le départ, juste pour manger des "huevos à la ranchera" enflammés de chili. Ahuris par le ronronnement du moteur et les virages incessants de la route scabreuse sur 400 km de montagne, nous papillotons d'émoi.

Avec la mer, c'est toujours la première fois, une déraison portées par les effluves marines, une orgie de soleil couchant. La baie s'allume, les bateaux de guerre ajustent leurs guirlandes d'ampoules.

Quand on se trouve sur la Costera Miguel Aleman, la grand avenue qui tourne le long de la baie et des grands hôtels, le taxi se range. Le chauffeur descend : "Ya estamos". On est arrivés; on se décolle des banquettes poisseuses et on déballe le matos sur le trottoir. Le chauffeur nous dépose devant le fameux "Chateau du Vics" tant venté par Marie.


Acapulco

10 pub chateau du vics

2 avril 1969;  Le "chateau du vics" un restaurant à larges baies garçons vêtus de blanc ; une légère brise soulève les palmiers nonchalants. On demande au chauffeur où il couche, mais il repart sur-le-champ à Mexico. Pas le temps ou pas l'argent pour se payer une piaule.

- "El senior Chavez  se fue a Mexico. Francine y Philou ?  Il s'appelle Paco, il a une chemisette blanche et nous tend une main dorée et osseuse. Derrière, c'est le bureau. Un ventilo tourne doucement, un bureau et une chaise ; sur le sol de ciment, des piles de dossiers contre le mur.

"Alors le patron est à Mexico, est-ce qu'il nous a réservé une chambre ? - Il ne m'a rien dit. -Mais c'était entendu dans le contrat. - Je ne suis que son secrétaire particulier - Je suppose que tous les hôtels sont pleins le jour de Pâques...

- Il doit y avoir encore des chambres à l'hôtel  "Caballero". - C'est combien ? - A partir de 250 pesos (20 dollars US). -Trop cher...

On s'assoit sur les amplis, il fait tellement chaud. - Si vous ne trouvez rien, je serai heureux de vous recevoir chez moi pour la première nuit. J'habite avec ma famille. C'est une maison modeste mais si ça peut vous rendre service. -Merci Paco.

11 resto chateau du vicsLe "Chateau du Vics"


Chez Paco...

Paco habite dans le quartier populaire du centre, au milieu des ruelles surpeuplées, souriantes, une atmosphère tellement détendue après Mexico. Toutes les boutiques sont ouvertes le soir, les voitures avancent au klaxon dans la foule, les rires, les cris. Plus il y a du bruit, plus c'est drôle. Un petit escalier raidillon et la mama vient nous ouvrir la porte en s'essuyant les mains dans ses grandes jupes. Elle est déjà prévenue.

69 4 1 arrivee a acapulcoAu milieu d'une grande pièce très propre en ciment, un hamac est tendu ou somnole le grand-père, torse nu, un vaste pantalon de toile blanche serré à la taille. Une fillette vient lui essuyer la bouche, il ricane doucement.

Dans la pénombre luit la toile cirée de la grande table familiale. On écarte un rideau pour nous montrer notre chambre, celle de Paco. La sœur aînée vient nous apporter deux bouteilles de coca-cola glacées.

Elle a dû faire un saut dans la buvette du dessous et pas question de la rembourser. Elles disparaissent de la chambre. Tout est moite, les murs, les draps, la peau.

La lumière éteinte, c'est la vie qui rentre par la fenêtre, c'est le Mexique que tous nos emmerdes nous dérobent, les toits rouges, les longues tuiles rondes et dans la poussière les enfants crieurs, des enfants qui jouent, se bagarrent. On aspire la moiteur de la nuit, on ne voit plus que les lumières derrière le feuillage, un feuillage omniprésent, avide.

Finis les essoufflements, les interminables lassitudes des hauts plateaux. Ici on respire, un mois sans soucis au bord de la mer c'est pas un contrat, c'est des vacances.

Putain que c'est beau cette nuit embaumée de rires, ça gigote dans l'ombre, l'éclat d'un sourire, le jaillissement d'un juron, le bruit sourd de corps qui roulent dans la poussière. On est arrivés.


Dimanche de Pâques

3 avril 69 On a passé l'après-midi à monter le matériel. Philou n'arrête pas de s'extasier devant les deux baffles supplémentaires. " Voilà, c'est pour ça que je chantais faux, tu comprends qu'un seul haut-parleur pour la basse, la guitare et les voix, ça pouvait pas coller. Les notes frottaient. Avoue que c'est formidable maintenant. Hein?, tu vois pas tellement de différence ! Merde, débouche-toi les oreilles ! "

Le contrat, (325 pesos par jour, en dessous du tarif syndical.) n'est pas fabuleux... il a compris, la vache, qu'on y tenait à notre Acapulco, le contrat comporte cependant une clause : nourris le soir, et dans le restaurant s'il vous plaît !

A 7 h on s'assoit à une table, depuis une heure on respire mieux, ils ont branché l'air conditionné, autrement c'est la fournaise... Le maître d'hôtel très cérémonieux vient nous présenter la carte. Il revient après quelques minutes pour prendre la commande " Mais vous ne nous avez pas dit ce qu'on pouvait choisir...

-Ce que vous voulez… " Oh ! mais c'est la fête, il nous presse même de prendre du vin. Le service est un peu long, trois quarts d'heure d'attente, mais irréprochable. Je suppose qu'on passe après les clients, pourtant fort peu nombreux. "Ça va se remplir." assure Philou.

A 8 h du soir, on attaque, le patron n'est pas encore arrivé. Maigre audience. Est-ce que par hasard on serait retombés dans un endroit désert ? Nous sommes trop absorbés par notre nouvelle sonorisation pour nous inquiéter de problèmes secondaires. "Tiens, le petit maigre en chemise à dentelles, ça m'a tout l'air d'être le patron "

Un petit noirot aux traits creusés, l'air sinistre et inquisiteur…  " L'a pas été gagné par la bonne humeur d'Acapulco celui-là ". A la pause, il vient nous voir : " Il faudrait voir à mettre un peu plus d'ambiance, je ne tiens pas à endormir ma clientèle, surtout le dimanche de Pâques. Je veux qu'au "Château du Vic's" on s'amuse.

- Qu'est-ce qu'il croit, c'est pas un duo de chansons françaises qu'il lui faut, c'est la fanfare du carnaval ! -Te frappes pas c'est un vieux con, il n'y connait rien, en attendant on a un contrat d'un mois, laisse courir.

Il repart saluer ses clients ; Chavitos qu'on l'appelle, c'est trop gentil pour ce début de vieillard qui tourne à l'aigre; enfin, avec eux, il ravale sa bile et détend ses cernes.

A 11 h on demande des précisions : " Et la loge ? - Y'a pas de loge ici, arrangez-vous avec le bureau. - C'est que, … il est plutôt poussiéreux et, la journée, la porte reste ouverte ; il n'y a même pas de placard pour pendre nos affaires.

- Vous ne croyez tout de même pas que je vais vous en faire monter un…  - Mais si… - Je n'ai pas d'argent à perdre. - Il nous faudrait une petite estrade.

- Je ne tiens pas à défigurer mon restaurant. Il été décoré scrupuleusement dans le style Louis-Philippe, ça ne cadrerait pas... J'ai de la moquette. - Il nous faudrait aussi deux spots, un rouge et un orange, ça attire l'attention du client.

- Verrai ça demain. - Vous ne nous avez pas dit où nous allons coucher ? - Je n'ai pas le temps.

"Mais c'est entendu dans le contrat, comment voulez vous qu'on trouve, surtout la semaine de Pâques et ce n'est pas avec notre paie qu'on peut se payer une chambre dans un grand hôtel, en admettant qu'il en reste encore…"

Je suis assez contente de cette longue phrase en espagnol sans une hésitation. " Ecoutez, je n'ai pas le temps, vous voyez bien que mes clients me réclament, demain j'ai dit. - OK, alors nous on couche dans le restaurant, y'a des banquettes très confortables…

Répond pas. C'est décidé, on pique notre tente dans la baraque, voudrait peut-être nous faire coucher sur la plage. Le premier soir étant d'ordinaire celui où les patrons donnent le meilleur avant de passer au pire, ça promet...

Nous sommes ravis de notre soirée, pour tout dire, de notre sono, ça donne un coup de fouet pour les répétitions à venir. Comme s'est empressé de me rappeler Philou : " Pour les répètes faut en profiter tant qu'on est tranquilles on met les bouchées doubles"…

Je songe à un métronome tombé par mégarde dans les profondeurs insondables du Pacifique… Le restaurant ferme à 1h, mais au Mexique, une table qui consomme est une table sacrée, le personnel reste au garde-à-vous jusqu'à 6h du matin si le client s'amuse.


Trois heures du matin.

Y'a la table 5 qui prend racine ; les bouchons sautent, ils sont complètement ronds, Chavez compris et y'a rien de plus difficile que de décider un ivrogne à quitter sa bouteille. Le restaurant désert résonne de rires gras, c'est le grand amour, les embrassades à la mexicaine, grandes bourrades dans le dos et étreintes convulsives.

Un garçon vient nous expliquer que quand un mexicain s'amuse, il dépense tout son argent. " Et après ? - Après ?... eh … il n'en a plus. Le mexicain est de loin le meilleur client parce qu'il ne compte pas, les américains viennent ensuite.

- Et les mauvais clients ? - Les européens… ils regardent au pourboire. - Les français par exemple ?- Oui."

Ils n'ont pas l'air de se calmer. Tant pis on se couche, on tient plus debout. Une mauvaise somnolence interrompue d'éclats de voix, de rires crescendo, les femmes surtout, elles sont déchaînées. Quatre heures, je vois les garçons qui baillent. Le ton a encore monté ; ah! le Chavez, y fait plus la gueule…

5 h Le vacarme s'intensifie, c'est incroyable. Je crois, deviner des protestations d'adieu, des "gracias" tonitruants dans un bruit de verres cassés, ils vont décoller oui ou merde.

A 5 h 45 c'est toujours les adieux, un peu plus mous, entre les hoquets et les hésitations pâteuses. Il me semble qu'ils sont à la porte.

6 h, le soleil gicle par les verrières, il fait maintenant une chaleur intolérable depuis qu'ils ont coupé le climatiseur. Les cheveux collés, inondés de sueur, on s'entête en vain à trouver un mauvais sommeil. "J'y tiens plus, allons faire un tour sur la plage."

69 5 2 plage hiltonDehors, c'est presque frais, on pénètre sur la plage privée de l' Hôtel Hilton. Si nous étions des clients de l'hôtel nous aurions droit aux serviettes, nattes hamacs, chaises longues plus cabanon personnel mais... 

On remarque que lorsqu'un touriste arrive sur la plage, un boy vient lui apporter toutes ces attentions, mais lorsqu'il repart, bien qu'un service de nettoyage veille continuellement sur le matériel, il se passe quelques minutes avant qu'il se rende compte...

Le problème est de savoir, s'ils sont en train de se baigner ou si la place est libre... Y'a pas mal de monde... Et hop, on s'assoie sur les serviettes encore humides. Un boy passe en nous dévisageant, on lui commande 2 autres serviettes. Il hésite à peine. La prochaine fois on tachera de ne pas se trouver dans son secteur.


Chavitos nous a envoyé dans un hôtel assez éloigné de son restaurant. Rien à dire, air conditionné, vaste chambre, salle de bain stérilisée ; on étrenne les lits (il n'y a qu'une façon d'étrenner les lits ! ), on déstérilise les chiottes, la baignoire, on pique une tête dans la piscine et on va demander le prix de la chambre à la caisse. "100 pesos par jour. Vous savez c'est un prix que nous faisons pour obliger monsieur Chavez... 100 pesos (8 US dollars) , certes c'est un prix d'ami, malheureusement, on nous a fait  aussi un salaire d'ami !

Dans son bureau, on surprend Chavez en plein comptes, plus sombre que jamais. Sa secrétaire, une jolie petite mexicaine de 16 ans (Philou a eu le temps de me dire : "Tu vois, si j'étais célibataire...") semble terrorisée. " C'est un peu cher votre hôtel - C'est tout ce que j'ai trouvé ".

Le soir on discute avec un des garçons, Enrique, pas mal bavard : " Ne vous en faites pas, je vais vous trouver quelque chose derrière le restaurant. -Mais il n'y a rien derrière. - Si si, si vous voulez je vous emmène tout à l'heure avant de prendre mon service, le propriétaire est un de mes amis."

A 500m en effet, derrière un bouquet d'arbres, une villa tranquille, des chambres à la semaine. Le propriétaire insiste sur des ventilateurs dernier modèle. " 50 pesos par jour, parce que je connais Enrique." On remercie, ça fait parfaitement l'affaire. Quand on passe prendre la valise à l'hôtel, la patronne se met à gueuler : " Ah non, 100 pesos par jour parce que c'était pour un mois ! Payez le plein tarif. - Ecoutez voilà 100 pesos, s'il y a quelque chose qui ne va pas, allez voir monsieur Chavez" .

Les guékos courent sur le plafond, longtemps statiques puis détendus soudain, le temps de happer un moustique, doux compagnons de chaleur aux gémissements d'oiseaux. Une brise apporte la nuit lourde et moite, les crissements des insectes nocturnes, le hennissement d'un cheval tout près, en liberté.


Le "paradis" des américains...

A l'image des jardins de l'Hilton, l'exotisme fabrique des décors hollywoodiens : Cocotiers, bananiers, buissons, violés dans leur tranquillité nocturne par des spots de couleur : mutilation technicolor, la nature déguisée en plantes artificielles.

Des superbes perroquets encagés mordillent leurs barreaux de rage dans les extases, les agaceries, les conneries des gringas déguisées en tahitiennes, qui découvrent le plumage des oiseaux tropicaux. Une piscine en forme d'anneau où la moindre feuille est enlevée par des jardiniers vigilants, voudraient faire croire à une rivière phosphorescente...

Un îlot-restaurant avec ventilo, cabane bambou et orchestre de danse, le "great décor" pour une solitude à 200 personnes, une rêverie électrique, un romantisme à coup de punch et une intrigue refoulée de la plage par la police des mœurs ira se finir dans le formel internationalisme des chambres de l' "Hilton", là où l'américain est partout comme chez lui.

Les jeunes produits du système des grands états viennent se vautrer sur les canapés et les épais tapis de lobby, la discothèque est bondée, mais on continue à se trépigner en léchant ses coups de soleil.

Des taches de rousseur, 16 ans, une liberté complète, un carnet de travellers chèques, mais on est d'accord pour refuser le système en kourtas et en longues robes de coton imprimé "made in India", de l'herbe (et c'est pas mal pour ça qu'on est venus ), dans la poche du jean délavé, rapiécé, badgé, griffonné, un vrai musée.

Deux heures. au cœur de la chaleur, l'heure du bronzing acharné ou des siestes ombragées, l'heure immobile des boutiques closes, des rues désertes.

-"Je te vois venir, si je te laisse faire, tu files à la plage et à 4 heures, épuisée de soleil et de baignades, tu ne voudras plus répéter. Pas question, répète d'abord, plage ensuite."

A deux heures, les garçons font le ménage dans le restaurant. On se déplace avec économie dans la fournaise irrespirable, pas le moindre ventilo et les grandes baies vitrées filtrent un soleil condensé. "Samba sur une note" et il faudrait encore que je danse ! C'est meilleur pour le felling parait-il.

La liste des chansons à apprendre est désespérante. Programme : commercialiser le répertoire. Nous avons même pris l'humiliante décision d'apprendre le succès sucré qu'on nous réclame inlassablement tous les soirs : "Las horas félices" (Le temps des fleurs)

" Ecoute, il est 5h et demie, tu crois pas que t'abuses, y'a déjà plus de soleil. -Tant mieux, tu sais pas c'que c'est que d'sentir la courroie de guitare sur un coup de soleil...- J'risque pas.


Les "gringas" :

Accroupis sur les trottoirs, les camelots, pieds nus interpellent les américaines pour leur offrir l'indispensable  panoplie : sandales en cuir à semelles de pneus, grands chapeaux à dentelles accompagnant de même dentelle la sortie de bain, huile de coco pour le soleil.

Sur l'avenue trottinent les fiacres enrubannés où tintinnabulent des grelots pomponnés. Le prix est exorbitant mais c'est tellement "cute". Les "gringas" cueillies à la sortie des grands hôtels s'assoient  dans de grands éclaboussements de rire qui font trembler le frêle équipage et gémir la pauvre carne endormie ; au passage, elles interpellent les "latin love" qui font le tapin sur les plages. Inoubliables week-ends à Acapulco !


Le drame du scorpion .

Comme nous l'avions pressenti le restaurant ne marche pas fort, ça nous poursuit. Les garçons oisifs se penchent par paquets le long des verrières. Chavitos fait des allers-retours, la caisse... la porte. Quand il entre, il réfléchit, inspecte les tables vides et pousse sa gueulante. Il n'ose rien nous dire, mais on sent qu'il se mord les doigts d'avoir engagé des musiciens.

Un grand cri par de l'unique table occupée, un scorpion vient de tomber sur la nappe ; le maître d'hôtel  se précipite avec sa serviette mais le scorpion a glissé sous la table, quelque part entre les plis de la nappe.

Les clients, debout derrière le paravent abandonnent le chasseur qui soulève prudemment le tissu. Il se fait piquer. Très digne, il se suce le doigt, jette son trophée et rétablit le désordre des chaises ; avec un grand sourire, il ramène les convives tremblants qui le dévisage avec inquiétude, s'attendent à le voir s'effondrer sur la moquette. " Mais ce n'est rien, c'est un scorpion noir ! "

L'incident est interrompu par l'arrivée de deux gringas grillées, minijupe sur cellulite, mini-corsages sur lourdes gorges à naissance flétrie. Une entrée tapageuse qui fait passer l'œil glauque de Chavitos dans l'encoignure.

Ces dames se laissent tomber sur les chaises Louis-Philippe, s'éventent et ça déplace de l'air, jambes écartées. Elles repoussent les menus, ces dames ont un rendez-vous, "just a drink", et avec des œillades de mascara humide elles jaugent le garçon. " You're quite a nice boy, you know ?

Le garçon frétille sous le compliment ? Hélas il ne peut guère aller plus loin ; très échauffé, il s'attarde sur les commandes. " What do you mean by "congas" ? - Pues... it's a fresh fruit juice. - No alcool ? -I'm sorry - Oh, he is sorry, what a funny gay ! Wat's your name "muchacho" ?

C'est tellement drôle qu'elles s'étouffent de rire en se tapant sur les cuisses, en dérangeant leurs boucles laquées. " Oh my god ! Julie did you see those eyes ? - Muchacho, where did you  get those eyes ? "


Philou cherche un Jazzman.

Pour entrer, on doit se courber sous un rocher d'où jaillit une cascade. Le portier nous arrête. On vient voir un musicien : "Fredo". La lumière noire phosphore les robes blanches, les boutons, les dents, le blanc des colliers de fleurs.

La lumière stroboscopique casse la danse en poses pétrifiées. "Fredo ? Momentito por favor." Fredo a justement fini de jouer. "Bonjour, on est des amis de Catherine. - Ah !, Catherine : attendez-moi, je reviens."

Quinze minutes plus tard, on ressort, un peu sourds, les yeux imprégnés de flaques de lumière. Fredo propose de s'éloigner un peu. Philou discute Jazz, l'autre n'est pas très bavard.

"Mais au juste pourquoi êtes-vous venus me voir ? - Catherine nous a donné votre adresse. - Ah...vous voulez quelque chose ? - Quelque chose, non pas spécialement. - Vous n'avez plus de stock ? - De stock ? - De l'herbe quoi, ou autre chose. - Pas précisément, c'était juste pour bavarder. - Ah, je croyais..."

IL nous raccompagne dans un vieux Ford ; Fredo lèche soigneusement le papier, c'est plus une cigarette, c'est un cigare. Il fait circuler ; pour du stock, c'est du bon stock, une bouffée et déjà je me réchauffe. On descend et on est vraiment bien partis. Je m'essuie les yeux.

Sur le petit sentier qui mène à la villa, les pierres se sont ramollies ; nos pas caressent la terre sablonneuse, on s'enlise dans la nuit paisible et grillonnante. Philou va faire des grimaces à un cheval tranquille qui prend soudain son élan à grands balancements de col, la nuit est si claire, les étoiles si brillantes. " Tu crois pas qu'il y a des scorpion dans les broussailles ? - Sûrement !


Chavez n'a plus de sous ...

Si Chavez avait été en train de sourire, il aurait changé de figure, mais Chavez ne sourit jamais. On vient lui demander de l'argent, rien pourtant d'anormal après 10 jours de travail. Il s'assoit derrière le paravent, sa planque habituelle : "Je n'ai pas d'argent".

On le rejoint sur la banquette. Il nous regarde, furieux, il aurait préféré qu'on reste au garde à vous. - Je n'ai pas d'argent - On lui montre la caisse. " Et là-dedans ? - Ce n'est pas possible ce soir. D'ailleurs le restaurant ne marche pas, il va falloir que vous trouviez du travail ailleurs, je ne pourrais pas vous payer."


Appel au syndicat.

Pour trouver le bureau de la A.N.D.A., il a fallu errer dans les ruelles du centre, repousser les grappes de camelots, marcher dan la foule molasse, me faire mettre la main au cul, piétiner après renseignements contradictoires ;

Enfin, le bon immeuble. Au premier, un dispensaire où les familles nombreuses à même le sol attendent la consultation en avalant des tacos que les mamas décollent du papier gras en soutenant les derniers-né enfouis dans plusieurs tours de châle. Regards avides, incroyablement mobile, les enfants comprennent vite le rapport entre tendre la main et calmer sa faim " Ne vous faite aucune inquiétude Mr Chavez paiera ; voulez-vous une avance ?

- Certainement." Malgré tout, il est préférable de cherche un autre job ; les relations avec Chavez sont de plus en plus tendues. Les garçons qui ont senti le vent nous font attendre chaque soir un peu plus pour la bouffe. Maintenant il faut commander une heure à l'avance et s'est au moment de chanter qu'on nous apporte les plats.

Vu la situation quelque peu embrouillée, on envoie à Marie Robert un coup de fil impératif : "Venez tout de suite".  Elle a dit oui.


Marie débarque...

A 11 heures ce ne sont pas les oiseaux, ni le chien, ni les bassines entrechoquées qui nous réveille mais une voix grasseyante derrière la porte. " Coucou c'est moi ! Alors mes petits, on fait la grasse matinée ? " La Marie, éblouissante d'entrain, entre dans la chambre avec le soleil.

Tenue légère, le slip du bikini libère le ventre mou et s'enfonce dans la cellulite, les seins sont mieux que je n'aurais pensé. Elle a revêtu l'uniforme Acapulco, chapeau et sortie de bain à dentelles, petits pieds dorés et sur le dessus du pied deux grappes de verroteries de couleur.

Elle retire ses larges lunettes noires. "Alors mes petits, on se la coule douce (parole malheureuse) vous avez bonne mine, si si ! - Vous avez réfléchi à la situation ? - Minute, de toute façon, je ne peux rien faire avant ce soir, c'est dimanche aujourd'hui. Sur le balcon, une ombre tousse timidement. "Carlos, entre, ne reste pas tout seul ! "

Carlos est jeune, une moustache fiérote, une totale réserve. Elle doit le payer ; elle nous présente son nouveau chauffeur ; pour un week-end d'affaire, elle a pensé à tout. elle tient à nous présenter à un ami qui a une boîte à l'autre bout de la baie ; deux heures à les écouter parler du bon vieux temps...

Côté boulot elle a du oublier. Et maintenant ?... la plage voyons. Elle prétexte l'heure où les patrons sont invisibles, les boîtes fermées et choisit " la Condesa" à cause des chaises longues et des poissons grillés. " Si si, je vous en prie, prenez un poisson, c'est Carlos qui nous invite, n'est-ce pas Carlos ?".

Carlos acquiesce, il acquiesce toujours. A quoi bon ce cinéma, on s'en fou de ses gigolos. "Vous n'avez pas peur de perdre vos faux-cils ? - Jamais, je les garde jour et nuit, je peux même dormi avec ! "

Philou arrive ruisselant. Tenir la jambe à Marie est au-dessus de ses forces, il se défoule dans les vagues. " Philou, votre poisson est froid. - Et Chavez c'est pour quand ? - Je vous dis qu'il n'est pas là ; ce soir, c'est promis. Oh mais, vous m'aviez caché ça, mais c'est qu'il a un beau thorax ce petit."

Carlos n'acquiesce plus et Philou repart dans les vagues. Elle chatouille les moustaches de son jeune éphèbe. A 1heure du matin, elle fait son entrée dans le club. " J'ai cherché partout. Mes enfants, la saison est finie, il n'y a plus de travail à Acapulco.

- Et Chavez ? - Qu'est-ce que vous voulez, il est au bord de la faillite et en plus il m'a dit que vous ne faisiez pas du tout l'affaire. Vous n'êtes pas commerciaux."


Et l'Hilton ?

On est allé voir le gérant de l'Hilton, au flan, un français. Dans le bureau, le sol est pavé de petits galets de couleur ; une large lampe à verres dépolis, sertis de fer forgés. Au dessus pend un calendrier Aztèque en fonte.

"Ecoutez, je vais faire mon possible bien qu'à partir de Pâques la saison soit terminée à Acapulco. Nous allons bientôt entrer dans la saison des pluies. Avant tout, j'aimerais vous entendre. Audition après demain ; je vous envoie une camionnette pour les instruments.

Si ça marche, il faudra encore attendre 5 jours, le temps de faire la demande à la A.N.D.A.. Le 30 avril, j'ai un chanteur Chilien qui arrive ; bien que je n'aie pas réellement besoin, je pourrais vous prendre dans l'intervalle.

Une audition à l'Hilton ? Mais qu'est-ce qu'on va chanter ? Gros problème. Pourvu, pourvu que ça marche, on retourne dare-dare à la répète.


Une audition à l'Hilton !

15 avril 69 : L'audition est terminée , on a choisit "Dès que le printemps revient" et "Céline" de Hugues Auffray. Le gérant discute dans un coin du restaurant avec un jeune musicien... Les jeux sont faits. On replie les fils sans oser relever la tête.

Il nous appelle " C'est d'accord mais je dois m'absenter d'Acapulco ; je vous conseille de faire attention à vos instruments, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je ne serai pas responsable."


Le regard en biais, Chavitos s'éloigne. Menace de sabotage maintenant, tous les moyens sont bons. Il ne sait pas encore qu'on a trouvé du travail sinon, on ne chanterais pas un soir de plus. Ce matin encore nous sommes repassés au bureau de la A.N.D.A..

On nous a cette fois promis formel­lement d'aller voir Chavez ce soir et c'est notre dernier soir ; tout juste s'il n'a pas craché et juré sur la tête de ses enfants. Après la première entrevue soldée d'une avance, on s'était dit qu'il allait le faire cracher tout de suite le vieux. Mais déjà combien de jours de répètes et de soleil perdus à poireauter dans le bureau. Rendez-vous à 2 h… momentito… mas tarde… regresan a las 4...

On allait tuer le temps, siroter des jus de fruits de guayaba, guanabana, pins, toronja, tomates et c'est pas dégueulasse ; à 4 h la secrétaire nous disait qu'il venait juste de sortir...

Le lendemain le délégué de la Anda était soucieux, ça s'annonçait difficile. On extorquait une deuxième avance ; le surlendemain, lapin, etc., manana, manana, c'est l'obsession. Philou se ballade sur les quais en lorgnant les cargos japonais, il a envie de se barrer mais dans les agences de voyage on apprend que ce ne sont que des cargos qui ne prennent aucun passager. Il faudrait aller à Panama...!

Une heure et demie que nous attendons pour manger, le record est battu pour le dernier soir. Enfin les huitres arrivent ; 7 au lieu de 12, sans glace, dans une assiette à soupe, complètement sèches et collées à la coquille. Immangeables. J'apprécie l'attention de dernière minute. Je m'attends à trouver à trouver les restes du scorpion dans le ragoût.


1er mai et 1er show à l'Hilton

Au restaurant du "top floor", c'est quand le toit a commencé à s'ouvrir qu'on a eu peur ; le speaker avait réclamé auprès des convives un silence impératif et avec une abondance de superlatifs et fioritures de son invention, il a terminé son speach dans un terrible roulement de tambour : "And now…  direct from Paris…. Francine and Pilow ! "

Un coup de cymbale et nos regards attirés par une trompette céleste ce sont levés vers le toit. Le coup de théatre fut surtout pour nous… le toit glissait sans bruit et un trompettiste, perché là-haut, attaquait "Star dust"

Le pire fut quand il s'arrêta ; les musiciens s'éclipsèrent et nous restâmes, menus dans l'ombre de nos micros, avec un jeune batteur pour nous accompagner. Les regards attendaient au dessus des chandeliers et il a bien fallu  remplir cet espace vorace par un "Dès que le printemps revient"  que l'on voulut tonitruant.

Nous avons droit chaque jour aux félicitations bruyantes des gringas et de leurs texans de maris qui soulèvent  poliment leur chapeau de cow-boy, mais ils sont toujours contents de toute façon. Philou disparaît parfois et je le retrouve invariablement attablé au coffee-shop devant un milk-shake ou un banana-split, en train de faire du gringue aux serveuses.

"On s'emmerde pas ici...  - Plus qu'une semaine, faut en profiter ! Dis donc, t'as vu la p'tite au bar, elle a un joli p'tit cul, tu trouves pas ?  -Alors les répètes c'est fini ? - Encore une semaine, qu'est-ce que tu fous ici, toi qui pleurais toujours pour aller à la plage ! - J'y vais, j'y vais: attention tu grossis et moi j'aime pas…"

Logés dans une spacieuse chambre climatisée donnant sur la piscine, nourris à discrétion (à notre discrétion). Nous partageons les paradis exotiques pour gringos ; pour si peu de temps, c'est le pied. Mais je partirai sans regrets, ne serait-ce les ennuis qui probablement suivront.

Philou a de plus en plus envie de retourner en Asie parait que là-bas y'a du travail sans tous ces problèmes.

Pour le boulot, ici, c'est cool, deux shows de 25mn, le premier à 10h et le second à minuit. On en revient pas de chanter devant des tables pleines. Nous terminons en force avec "Alouette" pour les nombreux Québécois, et par l'inévitable "Those were the days" (le temps des fleurs en anglais et en espagnol). Avec cette scie, c'est le succès assuré… C'est un peu loin de notre répertoire prévu au départ mais trouver du boulot, c'est poursuivre notre voyage. On en est là.


12 acapulco hilton

Grâce à son charmant directeur : Philippe Géroudeau, on a dégotté ce contrat de 3 semaines à  l'Acapulco Hilton.


La saison est finie à Acapulco.

Impossible de s'attarder. Nous sommes allés écouter le Chilien qui a pris notre suite à l'Hilton. Un peu écœuré qu'on était, un Latino-Amérindien assez vulgaire qui se tortille sur ses hauts talons et offre son sourire de pute jusque dans les assiettes des clients, tout un laïus sur le Mexique, le plus beau pays du monde, bla-bla-bla...

La saison est finie, on s'attarde sur les plages presque vides, bientôt la saison des pluies, on a rien trouvé. Philou ne veut pas rentrer à Mexico, un vent de cavale souffle sur la baie.

Assis sur les caisses des entrepôts, il rêve devant l'eau visqueuse où trempent les cargos. : "Il doit bien y avoir un moyen ; en Asie, finis les problèmes, tu comprends, pas de syndicats.

- Avec 700 $, tu parles ! - On sait jamais, si on se mettait bien avec un capitaine...- Tu vas trop au cinéma mon vieux.

Nous n'avons pas trouvé de capitaine. La saison est finie, le contrat aussi. Je téléphone à la compagnie de bus. Non c'est une plaisanterie, y'a plus de place ! J'y vais. au bureau de la compagnie, une queue interminable, je fonce sur le guichet. " Mexico, dos personas ! "

L'employé me délivre 2 billets sans broncher. S'il n'y avait plus de place, c'est que les étrangers ne voyagent pas en 3e classe. Pas de réaction dans la queue.

Peu à peu la foule fait cercle autour du matériel. Philou repousse les mains baladeuses, les mômes fouineurs qui proposent leurs services en trépignant. Des mendiants exhibent leur moignon, leur oeil crevé. Pas un étranger et tous ces yeux qui nous regardent de près.

Philou est agressif, il commence à paniquer et ils le sentent. IL recompte : "Fais gaffe, 9 caisses, 200 kg de matériel, ça représente 3000 $ de matériel. - Ferme la, c'est pas le moment de parler de ça."


Enfin un porteur...

Un vrai. Il arrive en trainant ses savates. " Cuanto ?" encore 15 min de marchandage ; des yeux brillants se glissent entre les jambes des plus grands, yeux agiles, des paires d'yeux multipliés, omniprésents.

Voilà l'engin de 3e classe, le "camione" crasseux, hoqueteux, on a envie de le soutenir. Petit problème, le coffre  aux dimensions modeste est déjà plein ; le chauffeur soulève sans conviction quelques valises en carton, des paquets enveloppés dans des pièces de tissus, des montagnes de noix de coco, une cage à poule qu'une vieille agrippe en grognant. Le coffre est toujours plein.

" No hay sitio ! " Et toujours ces mains sur les amplis ; la foule encercle le conflit, renifle l'incident, quête un prétexte. " Pues...60 pesos".

Je sens un souffle sur ma nuque, plus le moment de marchander, Philou accepte ; " Tu vois, comme dit Maria, au Mexique tout s'arrange..." Et c'est parti. Il vaut mieux fermer les yeux sur la ficelle qui retient la poignée du coffre entrouvert.


Le voyage retour...

Les familles entassées sur les sièges poisseux entonnent les lamentations du départ ; les mains s'étreignent, s'agrippent aux portières, les mouchoirs se mouillent, on s'aime fortissimo, on s'aime en couleur, en pleurs, et le "camione" qui démarre arrache les coeurs ; les plus souples s'accrochent aux fenêtres pour dérober une dernière image dans la poussière et les crachats d'essence.

Un bruit de tonnerre, c'est peu dire, le camion secoue ses tôles dans un rugissement d'avion supersonique, on décolle ; à chaque coup d'accélérateur , le camion explose ; c'est bien plus drôle avec l'échappement libre.

La côte sillonne sur le ventre desséché des montagnes grillées, la baie s'élargit, s'impose, sugère la pleine mer, puis se range aux dimenssion d'une carte postale.

Les passagers ne gémissent plus, ils ronronnent d'aise en bondissant sur les banquettes ; ils déballent les tacos et mille gâterie de famille ; les pelures d'orange pulvérisent leur acide parfumé, papiers gras, par terre et bouteilles vides par les fenêtres, quelques rots satisfaits et les plus tendres se font un nid.

Les yeux papillotent, les lèvres enfantines se gonflent, un souffle régulier passe sur les joues barbouillées de chocolat. Les mères passives, dodelinent dans le vacarme, les bras arrondis sur leurs petits paquets chauds sombrés dans un subi abandon. Le soir glisse au ras des pierres, dans le creux des ravins.

Sur le bord de la route, des femmes, bassines sur le crâne, les mains rouges, gonflées, reviennent de la lessive hebdomadaire dans l'unique arroyo de la région. Elles attendent les "camione" qui vont les ramener dans leur village.

Les mêmes vaches béates paissent le macadam. Les ânes trottinent le long de leur laborieuse journée sans autre pensée qu'un clignement de leurs yeux gris. Une euphorie rose gagne les sommets, les couleurs brûlées par le soleil s'allument un instant, émouvantes, fragiles, guettées par l'ombre vorace et les oiseaux noctures. 

Au passage, des gamins nous jettent leur joie dans la poussière blanche des bas-côtés. Les noix de coco dansent dans les filets, les têtes glissent sur les dossiers creusés par des générations de passagers généreusement gominés. Dans l'ombre, les lumières de lointaine fermes isolées ; on devine les grillons, la brousaille chaude, les relents d'herbes grillées, les chiens rôdeurs.

Les explosions s'espacent, le moteur s'étrangle, la tôle se calme, le "camione" se range devant les lumière basses d'une auberge solitaire, 22h. Les jambes raides, on va bailler sur les tables grasses ; la serveuse s'essuie les mains dans ses jupes et plonge la louche dans les marmites de terre où nagent des sauces bien mitonnées. On déchire avidement les tortillas pour saucer.

Derrière, les chiottes, me dit-on ; il fait nuit, on patauge dans les flaques d'urine devant une porte branlante, c'est là qu'il ne faut pas tomber dans le trou ; le papier, le papier ?, pourquoi faire, après tout moi je préfère le chatouillis de l'herbe.

On débarque chez eux...


 

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